Dans la mutation totale de ses cinq sens, l’horloger du temps s’en fabrique un sixième, par un dérèglement de synthèse, qu’il a mis dix huit siècles à réaliser.
La mise au point a été dure. Le temps a été long, il y a eu de longs moments d’hésitation. Mais il le fallait, il le fallait, quoiqu’en soit la funeste conséquence : l’horloger du temps n’avait que trop senti sa petitesse par rapport à l’idéal qu’il cherche. Il a donc besoin d’une arme plus forte, une arme marquant le refus du temps et le désir de vite aller à la révélation, à l’Absolu.
Les mots éclatent, le temps s’arrête. Peu importe : l’essentiel est la signification qu’ils portent.
C’est pour la métamorphose d’un monde morne et menteur que l’horloger a travaillé de longs siècles, et c’est pour atteindre l’Absolu qu’il continuera à travailler.
L’horloger n’est plus depuis longtemps qu’un petit personnage exigeant, exalté et intransigeant, seulement dirigé par son indomptable tyran, sa grande soif d’Absolu.
Pour lui, ces délicieuses attentes, ces grandioses espoirs sont un privilège. Grâce à ce sixième sens, il se trouve armé d’une faculté extraordinaire qui en fait un être supérieur.
C’est d’une extrême importance. C’est même le fait primordial de l’existence.
Mais tout à coup il s’arrête, assailli par le doute, pétrifié après la projection en avant. C’est le plus terrifiant de cette tentative ; c’est la chute de l’espoir, la chute, très mal vécue.
Fou de rage, l’horloger du temps saute sur ses petits pieds, jette avec fureur ses vieilles lunettes sur le sol et les écrase, les piétine. Au paroxysme de l’agacement, il s’arrache le sixième sens en criant :
-« Comédie ! Comédie ! …Tu m’as bien attrapé ! »
Il a failli voir et sentir à travers son rêve. C’est alors le constat d’impuissance face à l’Absolu.
Et le magicien redevient mendiant.
La prise de possession de l’univers entier ne se fait pas si aisément ! Après une courte étreinte, elle s’est évanouie.
J’ai passé le message. J’ai mis en garde.
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