Au bout de son long chemin, le vieil homme affaibli se trouva face à une gigantesque caverne. Elle était située tout en haut de la dernière des montagnes qu’il avait dû affronter. Lovée au creux de la roche noire, elle se laissait découvrir, sinistre et austère. Sur son côté droit serpentait un petit ruisseau. Il contournait la dure paroi en la serrant de très près.
Il s’arrêta un moment pour reprendre son souffle. Face à lui se dressait ce pourquoi il n’avait cessé de combattre. Ses souffrances, ses humiliations, et maintenant les joies de la découverte, tout cela recevait son dû. Oui, il savait qu’il avait atteint son but. Et même s’il n’allait en tirer aucune récompense, peu lui importait, au fond. Il aurait au moins le privilège de se reposer, longtemps et avec délice. A présent il avait le temps, il n’était plus pressé, puisqu’il allait bientôt savoir.
Mais alors qu’il comptait s’arrêter un peu avant de pénétrer dans la caverne, il vit s’ouvrir en deux la muraille, lentement, dans un effroyable grincement. Il fut pétrifié, impressionné et déconcerté par ce phénomène. Il n’y avait là personne pour ouvrir une porte ni même pour actionner un quelconque mécanisme.
Par l’orifice béant s’élevait à présent une musique étrange et attirante. On aurait dit un langage que le vieil homme comprenait à mi-mots. Il la sentait si proche, si amicale, mais trop compliquée pour lui. Il se sentait attiré par l’entrée. Il ne résista pas. Ne devait-il pas s’y rendre, de toute façon? Il se laissa porter par les sons qui s’élevaient, l’esprit en alerte et attentif à ce qui pouvait se passer autour de lui.
Dès qu’il eut passé la porte, la musique cessa. Alors, lentement, il pivota sur lui-même et regarda tout autour de lui.
Il ne remarqua cependant rien d’extraordinaire ou de spécial. Les murs étaient nus et ils semblaient humides.
D’ailleurs, il faisait très froid. Ce qui ne manqua pas de l’étonner, c’est qu’une grande clarté illuminait la grande salle dans laquelle il se trouvait. Cette lumière était comparable au jour, mais il n’y avait pourtant aucun orifice d’où elle pouvait fuser. De cette grande salle partaient plusieurs boyaux également éclairés, de longs boyaux étranglés qui semblaient se perdre dans le roc. Par peur de s’égarer, il préféra rester dans la grande salle .Le risque de s’égarer dans l’un de ces couloirs inconnus ne le tentait pas. Pourquoi vouloir aller à la rencontre de ceux qui, sans aucun doute, étaient déjà prévenus de son arrivée?
Son attente ne fut pas aussi courte qu’il l’avait imaginée. Bien que ses hôtes sussent parfaitement qu’il était là, ils n’étaient pas de ceux qui se précipitent de sitôt que quelqu’un daigne se présenter.
Il attendit un long moment qui lui parut être des siècles. Il avait attendu toute sa vie, mais si prêt du but cela lui fut à peine tolérable.
Enfin, au fond de la caverne, une muraille s’ouvrit à nouveau. Alors il pût voir, au centre d’une salle plus petite, un autel taillé dans la pierre sur laquelle était gravées de nombreuses inscriptions cabalistiques. De chaque côté de l’autel brûlait de longs cierges peints en rouges, et derrière lui s’étalaient de lourdes tentures de soie noire, masquant ainsi la sévère muraille.
Quelques secondes plus tard, il vit entrer, par le côté gauche, quatre personnages vêtus de longs vêtements blancs, le visage caché. Ils se placèrent tous derrière l’autel, en silence. La cérémonie était on ne peut plus rituelle. Au moment de leur entrée, la musique s’était élevée, différente, plus imposante, noble.
Les capuchons tombèrent. Le vieil homme observa attentivement la physionomie des quatre personnages dont il connaissait les noms pour en avoir souvent entendu parler autour de lui. Ils étaient donc ainsi faits, ces terribles géants qui régnaient sur tout, qui réglaient tout et avaient eu le droit de disposer à leur gré de sa vie !
Il les connaissait : il y avait là Gob, le roi des gnomes, qui règne sur le Nord, ceint de l’épée qui correspond à son évocation. Près de lui se tenait Djin, prince du feu, et maître du Sud, porteur de son trident magique. Puis à sa gauche, la reine de l’Ouest, Nicksa, souveraine des eaux, avec devant elle, la coupe.
Le regard du vieil homme s’arrêta enfin sur celui qui avait à ses yeux le plus de pouvoirs. Paralda, seigneur du souffle, maître absolu de l’Est.
C’est lui qui prit le premier la parole. Il s’avança hors du groupe et clama :
« Voici venu le temps de la transformation. La bête infâme qui t’habite et qui te boit le sang lentement sans que tu t’en rendes compte doit être combattue et détruite. Fais appel à la foudre, mon frère, car elle seule est vraie et peut t’apporter la force qui t’est nécessaire pour vaincre.
Au-delà du temps, tu anéantiras le Dieu mensonge qui voulait te tromper pour se servir de toi, et tu puiseras ta force dans sa propre image.
Pour cela, utilise les mêmes moyens que lui.
Flatte-le, caresse-le, mais que ta caresse le brûle et le détruise. C’est alors que tu acquerras la liberté absolue. Possesseur de ta propre morale, tu pourras être fier de cette force, de cette vie nouvelle qui aura jailli de toi, et tu célèbreras le nouvel homme, l’être d’Absolu que tu auras forgé et aidé à naître. »
Ainsi parla le Grand Conseiller de l’Est.
Le vieil homme comprit la métamorphose et se rendit compte avec soulagement qu’il ne serait plus jamais le même.
Il commença à se sentir plus léger. La douleur de l’arrachement le prit. Le flou de son non-être s’échappa et, submergée par le feu, son enveloppe mensongère se réduisit en cendres, calcinée par la coulée brutale de la force purificatrice.
La lutte des deux forces annoncées avait commencé. Les quatre personnages, ceux qui avaient le vrai visage de la certitude de l’être avaient laissé l’homme seul, face à lui-même et à ses démons. On n’avait plus besoin d’eux maintenant.
Le combat des forces fut dur et pénible. Soudain, tout craqua et il prit forme. L’être absolu délivré des contraintes se transforma en loup. Ses dents devinrent puissantes et luisantes, son poil épais et dru, témoin de sa puissance.
Le loup vigoureux s’échappa dans la lumière sourde qui inonde la montagne devenue rouge. Déjà il repartit vers d’autres quêtes. Et c’est alors que tout commença.
Dans la lumière et dans la force.
Marion LUBREAC
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