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vendredi 4 février 2011

CAEDES.

On sonna à la porte.
Dehors, il faisait froid. Il demanda qu’on ouvre. Sans mot dire, en allongeant le cou ce qui lui donnait une allure un peu niaise, une jeune étrangère entra et se dirigea à grandes enjambées vers le feu qui brûlait dans la cheminée. Elle devait avoir environ trente ans, et l’extrême pâleur de son visage faisait ressortir deux grands yeux noirs très fixes. Elle s’accroupit sur la pierre bleue à gicler, là où RENAIN le vieux domestique coupe le cou des canards le dimanche et les jours de fête. Malgré ses manières quelque peu singulières, elle paraissait sympathique et il lui offrit de rester. Elle ôta alors son châle noir et étendit ses doigts gourds au-dessus des flammes qui crépitaient dans l’âtre. S’installant plus confortablement, elle Ramena ses genoux sous le menton, et tout en le dévisageant effrontément, elle se mit à lui raconter n’importe quoi.
Lui, médusé, s’écarta imperceptiblement sans rien dire. Il l’observait, étonné par le brusque changement d’attitude qu’il observait. Une lueur triste assombrissait parfois son regard lorsqu’elle parlait. Elle entrecoupait alors son récit de silences imprécis ou de rires hystériques qui le mettaient mal à l’aise. Son hôte ne manqua pas de remarquer en elle une grande perturbation. C’était vraiment une personne très bizarre. Ses yeux un peu fous fendaient son visage sans avoir l’air de le voir, comme si elle lisait à travers lui, ce qui l’emplissait d’une indicible angoisse. Il ne pouvait retenir ce regard fixe.
Soudain, la jeune femme lui saisit le bras et lui dit en resserrant son étreinte :
« Merci, vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point je vous suis reconnaissante. Et pourtant, je vais devoir vous demander de me pardonner. »
Il se dégagea assez vivement, manifestement agacé par l’attitude toujours plus étrange de sa compagne. C’était le genre de femme encombrante dont on ne savait que faire.

C’est lui qui, le premier, découvrit son corps pendu dans l’armoire.
En ouvrant la porte, il avait été frappé par le visage violet, les yeux révulsés, horribles à voir. Blanc, immobile, le cadavre oscillant de la morte l’hypnotisait.
« Drôle de façon d’attirer mon attention, songea-t-il. Ce n’est certes pas ainsi qu’elle va m’apitoyer. »
En fait, elle ne lui plaisait plus du tout. Elle ne lui paraissait pas franche. Il se sentait très mal à l’aise en sa présence. Il n’attendait qu’une chose : Qu’elle s’en aille. Il sentait malgré tout, contre sa décision intime, qu’elle était arrivée sournoisement à s’infiltrer en lui. Le visage hideusement changé lui souriait et les yeux blancs, si blancs dans ce visage affreux semblaient le fixer. Il se prit à penser que toujours le spectre serait là, à lui sourire. Toujours trop prêt de lui, toujours trop proche. Il se sentait comme happé par la bouche rouge.
Il prit la décision de décrocher le cadavre. Il étendit la femme sur le lit et alla ouvrir la fenêtre pour faire entrer la lumière et un peu d’air frais. Après avoir baissé les paupières de la morte, il la recouvrit d’un drap. Il était maintenant soulagé de ne plus voir ce visage figé par la mort. Il avait, au fond de la gorge, une grande envie de vomir. Il était effondré sur une chaise, près du lit où elle gisait. Incapable de rassembler ses idées. La tête vide. Les yeux agrandis par l’horreur de la situation. Il était là, sans pouvoir bouger. A la longue, Il se demanda quand même pourquoi elle était venue se pendre justement chez lui. Par ennui? Peut-être était-ce de sa faute à lui? Avait-il fait preuve d’indifférence? Une sensation de culpabilité l’emplissait maintenant, et il ne parvenait pas à se raisonner. L’attitude fantasque de la femme lui laissait une singulière impression.

Il se rasséréna en pensant que bientôt, le croque-mort passerait. RENAIN ne s’était-il pas chargé de toute la procédure ?

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