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jeudi 3 février 2011

A L EST



Après avoir marché longtemps sur les pierres de la grande route de l’est, Feuillard s’assit soudain sur une branche d’osier qui gisait là et se mit à réfléchir.
Voyons : à l’est. On lui avait dit qu’il trouverait la voie des quatre saisons, et qu’une fois son choix fait à l’embranchement, il n’y aurait plus de problème. Et cependant il y avait…Une éternité qu’il avait dépassé l’embranchement.
Après avoir longtemps erré, il s’était engagé sur la grande route de l’est, s’attendant à chaque nouveau pas à trouver la voie.
Mais le soleil se couchait maintenant. Feuillard se remit sur pieds, soupira, se baissa un peu pour ramasser sa flûte qu’il avait assise entre deux pierres bien polies, rondes, douces comme vde la soie, puis courageusement reprit sa route.
A la vérité, on ne peut pas vraiment dire que ce soit par courage. Mais plutôt par peur de l’imprévu, la peur de retomber dans sa torpeur et le doute initial l’obligeait malgré lui à avancer. Il avait presque cinquante ans maintenant, et il était temps de trouver la voie des quatre saisons. Car il se sentait coupable de n’avoir encore rien fait de positif jusqu’alors.
Cinquante ans. Rien que du négatif et de l’inutile. Il avait bien remarqué que ses relations se moquaient un peu de lui et riaient sous cape. Eux semblaient avoir toujours su, ils étaient confiants et sûrs d’eux-mêmes.
La route était longée d’arbres maigres sans feuilles, noirs à l’air calciné, mais qui à la réflexion avaient toujours été ainsi. Il faisait presque nuit, et Feuillard devait faire très attention en marchant car il ne voyait pas où il mettait les pieds. C’était presque à tâtons qu’il avançait, devinant plus que ne voyant avec clarté. Mais malgré tout ce noir, il ne lui venait pas à l’idée de s’arrêter. Et d’ailleurs, il ne fallait surtout pas qu’il se repose, car qui  savait maintenant où il se trouvait et qui au lever du soleil il aller rencontrer ? Il s’en remit à la providence et se dit qu’après tout ce devait être ainsi qu’il trouverait sa voie.
Tout- à-coup, il éprouva une sensation étrange .Un fourmillement glacé l’envahit et une terreur profonde le figea.
Au lieu de progresser normalement, Feuillard avança de côté en glissant sur ses pieds lentement, en serrant très fort les paupières, les bras écartés devant lui. Il essaya de contourner ainsi l’invisible obstacle, ou tout au moins de faire disparaître de son corps le ressenti désagréable qui l’avait envahi.
C’est de cette façon que son bras droit rencontra une résistance : Feuillard ouvrit les yeux et chercha à voir. Une planche épaisse de bois clair pendait dans l’obscurité. Comme un chemin. Il vit une passerelle qui l’y conduisait.
Tout cela l’irrita fortement et au lieu de poursuivre son chemin il se détourna et se mit à creuser près des pierres contre lesquelles ses pieds venaient de buter. C’est là qu’il se rendit compte qu’il était revenu sur ses pas. Il creusa sans relâche en s’aidant de sa flûte et de ses ongles. Quand il jugea que le trou était assez profond pour le contenir, il se déshabilla et s’engloutit dans ce refuge, en masquant l’entrée avec son manteau.
Recroquevillé dans son abri, Feuillard se prit à penser. Il ne se sentait plus coupable maintenant. Il pensa qu’il avait trouvé ce qui lui convenait le mieux. Il se blottit au fond du globe de terre et leva les yeux. Avait-il réellement trouvé ? Le doute le reprit. Non. Non il ne pouvait se contenter de cela.
Furieux et agacé, Feuillard se mit debout, remit ses vêtements encore un peu plus sale et reprit la grande route de l’est, sans reboucher le trou.
Mais tout en avançant, l’esprit de Feuillard riait ironiquement de cette impulsivité, ce manque de tempérance dont il venait de faire preuve, mené par ses instincts.
Il savait parfaitement que dans quelques temps, il abandonnerait sa résolution, creuserait pour recommencer inlassablement son travail.

Marion Lubreac


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