La lumière avait déjà faibli depuis quelques heures lorsque Fénia Fébor s’en aperçut. Il était resté bien après le départ de son ami, dans la même position, assis dans un fauteuil bas, un verre de gin à la main, le regard fixe. En voyant que la nuit tombait et que les objets qui l’entouraient étaient noyés d’une semi – obscurité, il se leva avec difficulté, prit son chapeau et sortit.
Déjà les rues étaient éclairées. Il avança dans une des rares rues de la ville qui avait conservé cet air d’autrefois et où les aiguilles du temps semblaient s’être définitivement arrêtées. Son attention fut attirée par un petit crissement d’animal, venant d’un coin sombre de la rue, d’un renfoncement près d’une porte : sans doute l’emplacement des poubelles. Il s’approcha doucement pour ne pas effrayer l’animal. En se penchant un peu, il distingua vaguement un rat, le corps à moitié engagé dans un trou, d’où il tentait d’extraire quelque chose de résistant ; mais au cours de cette opération, il semblait s’être coincé et éprouvait maintenant beaucoup de difficulté à se dégager. D’autant plus qu’il ne voulait à aucun prix lâcher l’objet qui lui avait fait fournir tant d’efforts et occasionné tant de déboires ! La première réaction de Fénia Fébor fut un mouvement de répulsion : il pensa s’éloigner ou plutôt tuer le rat. Les rats lui avaient toujours fait peur, car il leur reconnaissait une grande intelligence qui l’impressionnait. Mais il se ravisa et conclut qu’il valait mieux aider l’animal qui, en somme, ne lui avait rien fait. Il se baissa donc tout à fait et tira doucement le rat vers lui sans lui faire de mal. Le rat apparut tout entier, tirant sa proie. En voyant quelle était cette proie, Fénia Fébor fut horrifié : c’était un œil, un œil humain, et qui semblait vivant. Le rat se retourna sur lui sauvagement et le mordit. Fénia Fébor n’eut pas le temps de réagir, tout absorbé qu’il était dans la contemplation de l’œil. Le rat le fixait maintenant d’un regard mauvais, haineux, chargé de mépris et de courroux. L’œil humain le regardait de même : il semblait y avoir une complicité terrible entre le rat et l’œil. Fénia Fébor, effrayé à l’extrême, regarda sa main meurtrie qui lui cuisait. Elle était rouge et enflée autour le la morsure violacée. Le rat et l’œil le regardaient toujours méchamment. Pendant une longue minute encore, leurs regards s’affrontèrent.
Soudain vaincu, Fénia Fébor porta l’autre main à la tempe, et, rejetant la tête en arrière, se mit à courir en direction de la rivière. Arrivé là, il enjamba fiévreusement le parapet et c’est avec plus de hâte encore qu’il plongea dans l’eau boueuse.
Le rat et l’œil, calmement, reprirent leur jeu étrange…
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