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jeudi 3 février 2011

LE HENNIN

Ce soir encore, elle est venue, la grande et belle dame au hennin de soie. Elle était dans la nuit, tout au pied de mon lit, et elle me souriait.
La première fois qu’elle est venue, j’ai eu très peur. J’ai dévalé les deux escaliers qui me séparent des pièces du bas de notre maison, et puis je me suis raisonnée : sûrement un mauvais tour d’une imagination trop fertile.

Ce soir encore, elle est venue. Mais elle a beau sourire, me montrer qu’elle m’aime et qu’elle voudrait être mon amie : moi, je la déteste. Elle ne parle pas, elle ne bouge pas, elle sourit. Calmement. Comme hypnotisée. Mais moi je ne peux pas m’habituer à sa présence. Je vous l’ai dit : je la déteste, et je la regarde méchamment, puis je lui tourne le dos : alors, elle est bien forcée de s’en aller. Vraiment je la hais. Elle est ignoble avec son sale amour, elle m’agace avec son calme tranquille. Elle semble si sûre de pouvoir rester à mes côtés sans que je puisse m’y opposer ! Sans doute croit-elle qu’un jour, je lui sourirai.J’ai déjà essayé de changer de chambre, pour lui faire une mauvaise blague. Mais dans l’autre chambre, je l’entends bruire autour de moi, et elle est si près de moi que je vois des petites lumières palpiter au-dessus de la table de nuit, près du lit. Je sens son souffle sur mes cheveux et çà, je ne peux pas le supporter. Le jour où j’étais au bord de la rivière, à l’écluse, je me suis vite penchée pour la noyer : elle était sur mes épaules, agrippée à mon cou de ses petites mains blanches. Elle est tombée, m’a regardée d’un air triste, et moi j’ai ri, sauvagement. Puis j’ai lancé mon pied dans l’eau pour brouiller son image, effacer son reflet maudit.
Ce soir là, j’ai dormi dans la chambre bleue, cette chambre que j’aime tellement parce que j’y ai si peur : je dors bien quand j’ai peur. Le lit est haut, à côté il y a une grande armoire à glace dans laquelle je ne regarde jamais par crainte d’y voir une autre personne que moi et qui m’est inconnue. Je ferme bien les rideaux bleus : je suis sûre, en effet, que s’ils ne sont pas fermés correctement, une main va se glisser pour demander de l’aide (ou bien pour m’étrangler.) Et cette nuit-là, elle a gratté à la porte, doucement, timidement. Moi je n’ai pas ouvert. Je me suis bouché les oreilles pour ne pas l’entendre gratter. ..Elle a fini par partir, je crois : en tout cas, moi, j’ai fini par m’endormir, les mains sur les oreilles.

Mais j’ai beau l’écraser, l’humilier, elle revient, elle attend, elle sourit, toute droite et blanche dans ses habits couleur vieux temps.

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