Tubre me raconta :
« J’étais assis sur la falaise lorsque soudain j’entendis un grand fracas contre les rochers. Je baissai les yeux sur les flots déchaînés mais ne pus rien apercevoir. Comme tout semblait rentré dans l’ordre, je me calmai. Bercé par le bruit des vagues et réconforté par les chauds rayons du soleil, je finis par m’endormir.
Mon sommeil dura des heures. Peut-être même des jours. Je ne sais pas. Je ne porte jamais de montre. Et d’ailleurs, comme je ne savais pas où je me trouvais et que rien ne m’attendait ailleurs, la question de savoir combien de temps j’avais dormi ne fit qu’effleurer mon esprit. Je me levai et décidai de chercher de quoi me nourrir.
Je marchai longtemps, très longtemps. Bizarrement je n’avais ni faim ni soif et pourtant le soleil brûlait et le sol était très sec. Le paysage n’était guère agréable, car il n’y avait ni habitation, ni arbre, ni rien de vivant sur mon passage.
Après des heures de route, alors que je me trouvais sur une hauteur, j’aperçus non loin de là une sorte de poteau indicateur planté près d’une source. Une cruche de terre cuite ébréchée et ventrue y était posée. Il y avait là trois flèches qui indiquaient trois endroits différents : La première portait le nom de mon pays, de ce monde qui ne m’avait rien apporté et que j’avais fui. La seconde montrait le Nord, pour les hommes de Terre, et la troisième indiquait l’Est, direction que je pris après m’être lavée à l’eau du ruisseau. L’endroit était agréable et frais et avant de repartir je pris le temps de ramasser une jolie petite pierre grise et bleuâtre qui brillait au fond de l’eau. Puis je repris ma route.
Sur mon chemin, après un bon moment, j’eus la surprise de me trouver devant un tas de plumes minces et maladives. Mais comme j’ai passé ma jeunesse à plumer des poules et des canards à la ferme, je n’ai pas pu me retenir, et j’ai donné un grand coup de pied dans le tas de plumes qui se sont éparpillées un peu partout. J e marchai dessus et continuai ma route, ma petite pierre dans la main gauche.
Oui bien sûr, j’aurais pu ramasser une plume et la ranger au fond de ma poche, ou bien la garder à la main avec la pierre. Mais qu’aurais- je fait d’une plume ? Elle se serait engluée au fond de ma poche et salie. Elle n’aurait plus été qu’un petit tas sale et informe. Une petite boule touffue et répugnante. Tandis que ma pierre, si petite soit- elle, était immuable. Elle devint en quelque sorte mon fétiche. Je ne pensais même plus à me nourrir. Pourtant je passai près de gros arbres chargés de fruits énormes, superbes et mûrs. Il m’aurait suffit de tendre la main. Mais ce geste, je n’avais pas envie de le faire. Je continuais à marcher, sans vrai but, poussé par une main invisible, comme un automate. Sans manger. Sans me reposer plus de quatre vingt dix minutes de suite. Je n’étais pas fatigué. Je marchai ainsi longtemps, longtemps. Je ne saurais dire exactement combien de temps .Quand tout à coup, comme le faisceau d’une lampe de poche, une grande clarté surgit et m’aveugla.
Je tombai douloureusement à genoux, essayant de me protéger les yeux de cette grande lumière qui semblait venir de nulle part. Mais la clarté était trop forte et je m’évanouis de douleur et d’émotion.
C’est ici que je me suis réveillé, dans l’hôpital de la ville que j’avais quittée, il y a longtemps.
C’est alors qu’il me tendit sa pierre :
Prenez, me dit-il, ce n’est pas celle que je croyais. C’est juste un caillou sans importance, sans aucune valeur. »
En sortant de l’hôpital, j’ouvris la main sur la pierre bleue.
Tout doucement, elle s’envola vers l’est.
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