Il se sentait agacé. Il ne pensait d’ailleurs qu’à une chose. Se sauver dans sa chambre, prendre un livre qu’il n’allait pas lire, s’installer près de la fenêtre, et rêver. Au-delà de la fenêtre, au-delà de la grille, au-delà de la lande.
Tout le monde l’agaçait. Il avait honte cependant du sentiment qui l’assaillait. D’autant plus qu’il avait du mal à comprendre pourquoi il refusait d’être aimé en retour .Il avait perdu toute confiance en lui. Le seul reflet de son visage dans la glace lui donnait envie de vomir.
Il avait cessé d’écrire, cessé de peindre. Il vomissait sa vie, il détestait son corps et son esprit et donc, ne s’aimant pas, ne pouvait supporter aucune présence.
Ce qu’il pensait de la vie, de la mort, du suicide, et de l’au de-là lui interdisait de se supprimer, car il croyait en la réincarnation de l’âme. Toute atteinte à la vie qui bondissait en lui était donc inutile et risible.
Il se traînait comme une larve dans les couloirs. Sa présence devint rapidement un fléau. Il était de plus en plus pénible. C’est pourquoi les gens de sa famille s’armèrent de longs crochets effilés pour lui arracher la tête et tout ce qu’il y avait dedans. Ils l’attrapèrent par surprise, un soir, dans un large filet de cordes minces très serrées. Ils le pendirent ensuite au plafond par les pieds pour mieux y voir et pour mieux travailler. Lui ne se débattait pas du tout. Il continuait à penser, bien au dessus d’eux et de leurs folles idées. Ils n’avaient pas l’air de comprendre le cycle de la vie. Tout cela le rendait très gai.
On l’enterra au bout du jardin, à côté de la tombe du chien, près d’un cerisier foudroyé.
Quant à sa tête, elle fut enfouie sous le grand hortensia rose, devant la maison.
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vendredi 4 février 2011
LE CERCLE INFERNAL
Tubre me raconta :
« J’étais assis sur la falaise lorsque soudain j’entendis un grand fracas contre les rochers. Je baissai les yeux sur les flots déchaînés mais ne pus rien apercevoir. Comme tout semblait rentré dans l’ordre, je me calmai. Bercé par le bruit des vagues et réconforté par les chauds rayons du soleil, je finis par m’endormir.
Mon sommeil dura des heures. Peut-être même des jours. Je ne sais pas. Je ne porte jamais de montre. Et d’ailleurs, comme je ne savais pas où je me trouvais et que rien ne m’attendait ailleurs, la question de savoir combien de temps j’avais dormi ne fit qu’effleurer mon esprit. Je me levai et décidai de chercher de quoi me nourrir.
Je marchai longtemps, très longtemps. Bizarrement je n’avais ni faim ni soif et pourtant le soleil brûlait et le sol était très sec. Le paysage n’était guère agréable, car il n’y avait ni habitation, ni arbre, ni rien de vivant sur mon passage.
Après des heures de route, alors que je me trouvais sur une hauteur, j’aperçus non loin de là une sorte de poteau indicateur planté près d’une source. Une cruche de terre cuite ébréchée et ventrue y était posée. Il y avait là trois flèches qui indiquaient trois endroits différents : La première portait le nom de mon pays, de ce monde qui ne m’avait rien apporté et que j’avais fui. La seconde montrait le Nord, pour les hommes de Terre, et la troisième indiquait l’Est, direction que je pris après m’être lavée à l’eau du ruisseau. L’endroit était agréable et frais et avant de repartir je pris le temps de ramasser une jolie petite pierre grise et bleuâtre qui brillait au fond de l’eau. Puis je repris ma route.
Sur mon chemin, après un bon moment, j’eus la surprise de me trouver devant un tas de plumes minces et maladives. Mais comme j’ai passé ma jeunesse à plumer des poules et des canards à la ferme, je n’ai pas pu me retenir, et j’ai donné un grand coup de pied dans le tas de plumes qui se sont éparpillées un peu partout. J e marchai dessus et continuai ma route, ma petite pierre dans la main gauche.
Oui bien sûr, j’aurais pu ramasser une plume et la ranger au fond de ma poche, ou bien la garder à la main avec la pierre. Mais qu’aurais- je fait d’une plume ? Elle se serait engluée au fond de ma poche et salie. Elle n’aurait plus été qu’un petit tas sale et informe. Une petite boule touffue et répugnante. Tandis que ma pierre, si petite soit- elle, était immuable. Elle devint en quelque sorte mon fétiche. Je ne pensais même plus à me nourrir. Pourtant je passai près de gros arbres chargés de fruits énormes, superbes et mûrs. Il m’aurait suffit de tendre la main. Mais ce geste, je n’avais pas envie de le faire. Je continuais à marcher, sans vrai but, poussé par une main invisible, comme un automate. Sans manger. Sans me reposer plus de quatre vingt dix minutes de suite. Je n’étais pas fatigué. Je marchai ainsi longtemps, longtemps. Je ne saurais dire exactement combien de temps .Quand tout à coup, comme le faisceau d’une lampe de poche, une grande clarté surgit et m’aveugla.
Je tombai douloureusement à genoux, essayant de me protéger les yeux de cette grande lumière qui semblait venir de nulle part. Mais la clarté était trop forte et je m’évanouis de douleur et d’émotion.
C’est ici que je me suis réveillé, dans l’hôpital de la ville que j’avais quittée, il y a longtemps.
C’est alors qu’il me tendit sa pierre :
Prenez, me dit-il, ce n’est pas celle que je croyais. C’est juste un caillou sans importance, sans aucune valeur. »
En sortant de l’hôpital, j’ouvris la main sur la pierre bleue.
Tout doucement, elle s’envola vers l’est.
« J’étais assis sur la falaise lorsque soudain j’entendis un grand fracas contre les rochers. Je baissai les yeux sur les flots déchaînés mais ne pus rien apercevoir. Comme tout semblait rentré dans l’ordre, je me calmai. Bercé par le bruit des vagues et réconforté par les chauds rayons du soleil, je finis par m’endormir.
Mon sommeil dura des heures. Peut-être même des jours. Je ne sais pas. Je ne porte jamais de montre. Et d’ailleurs, comme je ne savais pas où je me trouvais et que rien ne m’attendait ailleurs, la question de savoir combien de temps j’avais dormi ne fit qu’effleurer mon esprit. Je me levai et décidai de chercher de quoi me nourrir.
Je marchai longtemps, très longtemps. Bizarrement je n’avais ni faim ni soif et pourtant le soleil brûlait et le sol était très sec. Le paysage n’était guère agréable, car il n’y avait ni habitation, ni arbre, ni rien de vivant sur mon passage.
Après des heures de route, alors que je me trouvais sur une hauteur, j’aperçus non loin de là une sorte de poteau indicateur planté près d’une source. Une cruche de terre cuite ébréchée et ventrue y était posée. Il y avait là trois flèches qui indiquaient trois endroits différents : La première portait le nom de mon pays, de ce monde qui ne m’avait rien apporté et que j’avais fui. La seconde montrait le Nord, pour les hommes de Terre, et la troisième indiquait l’Est, direction que je pris après m’être lavée à l’eau du ruisseau. L’endroit était agréable et frais et avant de repartir je pris le temps de ramasser une jolie petite pierre grise et bleuâtre qui brillait au fond de l’eau. Puis je repris ma route.
Sur mon chemin, après un bon moment, j’eus la surprise de me trouver devant un tas de plumes minces et maladives. Mais comme j’ai passé ma jeunesse à plumer des poules et des canards à la ferme, je n’ai pas pu me retenir, et j’ai donné un grand coup de pied dans le tas de plumes qui se sont éparpillées un peu partout. J e marchai dessus et continuai ma route, ma petite pierre dans la main gauche.
Oui bien sûr, j’aurais pu ramasser une plume et la ranger au fond de ma poche, ou bien la garder à la main avec la pierre. Mais qu’aurais- je fait d’une plume ? Elle se serait engluée au fond de ma poche et salie. Elle n’aurait plus été qu’un petit tas sale et informe. Une petite boule touffue et répugnante. Tandis que ma pierre, si petite soit- elle, était immuable. Elle devint en quelque sorte mon fétiche. Je ne pensais même plus à me nourrir. Pourtant je passai près de gros arbres chargés de fruits énormes, superbes et mûrs. Il m’aurait suffit de tendre la main. Mais ce geste, je n’avais pas envie de le faire. Je continuais à marcher, sans vrai but, poussé par une main invisible, comme un automate. Sans manger. Sans me reposer plus de quatre vingt dix minutes de suite. Je n’étais pas fatigué. Je marchai ainsi longtemps, longtemps. Je ne saurais dire exactement combien de temps .Quand tout à coup, comme le faisceau d’une lampe de poche, une grande clarté surgit et m’aveugla.
Je tombai douloureusement à genoux, essayant de me protéger les yeux de cette grande lumière qui semblait venir de nulle part. Mais la clarté était trop forte et je m’évanouis de douleur et d’émotion.
C’est ici que je me suis réveillé, dans l’hôpital de la ville que j’avais quittée, il y a longtemps.
C’est alors qu’il me tendit sa pierre :
Prenez, me dit-il, ce n’est pas celle que je croyais. C’est juste un caillou sans importance, sans aucune valeur. »
En sortant de l’hôpital, j’ouvris la main sur la pierre bleue.
Tout doucement, elle s’envola vers l’est.
IMPLICATION
Ces longs mois d’hiver passés seul à courir le pays n’avaient guère été agréables. Au moins, le mois de novembre, propice à la rêverie et à l’imagination lui avait-il permis de penser à d’autres moyens d’arriver à ses fins.
Un après midi de mars, Nidopin rencontra son ami. Celui-là même qui s’était, comme lui, impliqué jusqu’au bout dans la quête du Savoartou.
Simon Galair était allé plus loin que lui dans son implication. C’était un sage et ses connaissances n’avaient que peu de limites.
Après avoir montré sa joie face au retour de l’ami, Nidopin s’était ressaisi et il arborait maintenant cette réserve froide quasi déconcertante. Il restait souvent silencieux et jamais personne ne troublait le calme intérieur qui émanait de lui.
Un lourd silence régnait maintenant. Il se laissa tomber sans bruit sur une chaise et attendit, ses yeux pâles posés sur l’ami dont il enviait l’expérience.
Simon Galair se dirigea vers la fenêtre, puis, après un temps de silence, il se décida à transmettre ce qu’il savait à son ami. Au dehors grondait le tonnerre. La pluie fracassait les vitres. Simon Galair se mit alors à hurler, pour dominer le fracas. Cet air triste et grave allié à ces hurlements incompréhensibles le rendaient un tant soit peu inquiétant.
Soudain alors qu’un éclair déchirait le ciel noir et que la grêle tambourinait violemment, il s’effondra au le sol, son long corps maigre secoué par des spasmes de douleur. Sans doute venait-il d’être frappé par la foudre.
Nidopin bondit de sa chaise pour prêter assistance à Galair.
Celui-ci lui fit signe d’approcher l’oreille de sa bouche pour qu’il puisse lui communiquer son savoir avant de mourir. Avide, il se pencha et d’un coup de dent décisif, Galair lui déchira l’oreille avant de lui croquer le nez et de lui arracher la moitié de la joue gauche.
La bouche en sang, il sortit en ricanant comme un dément, laissant Nidopin dans le désarroi le plus total.
Il comprit que lui seul pouvait atteindre sa vérité et qu’il n’avait rien à attendre des autres.
Marion Lubreac
Un après midi de mars, Nidopin rencontra son ami. Celui-là même qui s’était, comme lui, impliqué jusqu’au bout dans la quête du Savoartou.
Simon Galair était allé plus loin que lui dans son implication. C’était un sage et ses connaissances n’avaient que peu de limites.
Après avoir montré sa joie face au retour de l’ami, Nidopin s’était ressaisi et il arborait maintenant cette réserve froide quasi déconcertante. Il restait souvent silencieux et jamais personne ne troublait le calme intérieur qui émanait de lui.
Un lourd silence régnait maintenant. Il se laissa tomber sans bruit sur une chaise et attendit, ses yeux pâles posés sur l’ami dont il enviait l’expérience.
Simon Galair se dirigea vers la fenêtre, puis, après un temps de silence, il se décida à transmettre ce qu’il savait à son ami. Au dehors grondait le tonnerre. La pluie fracassait les vitres. Simon Galair se mit alors à hurler, pour dominer le fracas. Cet air triste et grave allié à ces hurlements incompréhensibles le rendaient un tant soit peu inquiétant.
Soudain alors qu’un éclair déchirait le ciel noir et que la grêle tambourinait violemment, il s’effondra au le sol, son long corps maigre secoué par des spasmes de douleur. Sans doute venait-il d’être frappé par la foudre.
Nidopin bondit de sa chaise pour prêter assistance à Galair.
Celui-ci lui fit signe d’approcher l’oreille de sa bouche pour qu’il puisse lui communiquer son savoir avant de mourir. Avide, il se pencha et d’un coup de dent décisif, Galair lui déchira l’oreille avant de lui croquer le nez et de lui arracher la moitié de la joue gauche.
La bouche en sang, il sortit en ricanant comme un dément, laissant Nidopin dans le désarroi le plus total.
Il comprit que lui seul pouvait atteindre sa vérité et qu’il n’avait rien à attendre des autres.
Marion Lubreac
COMBAT POUR LA LUMIÈRE
Au bout de son long chemin, le vieil homme affaibli se trouva face à une gigantesque caverne. Elle était située tout en haut de la dernière des montagnes qu’il avait dû affronter. Lovée au creux de la roche noire, elle se laissait découvrir, sinistre et austère. Sur son côté droit serpentait un petit ruisseau. Il contournait la dure paroi en la serrant de très près.
Il s’arrêta un moment pour reprendre son souffle. Face à lui se dressait ce pourquoi il n’avait cessé de combattre. Ses souffrances, ses humiliations, et maintenant les joies de la découverte, tout cela recevait son dû. Oui, il savait qu’il avait atteint son but. Et même s’il n’allait en tirer aucune récompense, peu lui importait, au fond. Il aurait au moins le privilège de se reposer, longtemps et avec délice. A présent il avait le temps, il n’était plus pressé, puisqu’il allait bientôt savoir.
Mais alors qu’il comptait s’arrêter un peu avant de pénétrer dans la caverne, il vit s’ouvrir en deux la muraille, lentement, dans un effroyable grincement. Il fut pétrifié, impressionné et déconcerté par ce phénomène. Il n’y avait là personne pour ouvrir une porte ni même pour actionner un quelconque mécanisme.
Par l’orifice béant s’élevait à présent une musique étrange et attirante. On aurait dit un langage que le vieil homme comprenait à mi-mots. Il la sentait si proche, si amicale, mais trop compliquée pour lui. Il se sentait attiré par l’entrée. Il ne résista pas. Ne devait-il pas s’y rendre, de toute façon? Il se laissa porter par les sons qui s’élevaient, l’esprit en alerte et attentif à ce qui pouvait se passer autour de lui.
Dès qu’il eut passé la porte, la musique cessa. Alors, lentement, il pivota sur lui-même et regarda tout autour de lui.
Il ne remarqua cependant rien d’extraordinaire ou de spécial. Les murs étaient nus et ils semblaient humides.
D’ailleurs, il faisait très froid. Ce qui ne manqua pas de l’étonner, c’est qu’une grande clarté illuminait la grande salle dans laquelle il se trouvait. Cette lumière était comparable au jour, mais il n’y avait pourtant aucun orifice d’où elle pouvait fuser. De cette grande salle partaient plusieurs boyaux également éclairés, de longs boyaux étranglés qui semblaient se perdre dans le roc. Par peur de s’égarer, il préféra rester dans la grande salle .Le risque de s’égarer dans l’un de ces couloirs inconnus ne le tentait pas. Pourquoi vouloir aller à la rencontre de ceux qui, sans aucun doute, étaient déjà prévenus de son arrivée?
Son attente ne fut pas aussi courte qu’il l’avait imaginée. Bien que ses hôtes sussent parfaitement qu’il était là, ils n’étaient pas de ceux qui se précipitent de sitôt que quelqu’un daigne se présenter.
Il attendit un long moment qui lui parut être des siècles. Il avait attendu toute sa vie, mais si prêt du but cela lui fut à peine tolérable.
Enfin, au fond de la caverne, une muraille s’ouvrit à nouveau. Alors il pût voir, au centre d’une salle plus petite, un autel taillé dans la pierre sur laquelle était gravées de nombreuses inscriptions cabalistiques. De chaque côté de l’autel brûlait de longs cierges peints en rouges, et derrière lui s’étalaient de lourdes tentures de soie noire, masquant ainsi la sévère muraille.
Quelques secondes plus tard, il vit entrer, par le côté gauche, quatre personnages vêtus de longs vêtements blancs, le visage caché. Ils se placèrent tous derrière l’autel, en silence. La cérémonie était on ne peut plus rituelle. Au moment de leur entrée, la musique s’était élevée, différente, plus imposante, noble.
Les capuchons tombèrent. Le vieil homme observa attentivement la physionomie des quatre personnages dont il connaissait les noms pour en avoir souvent entendu parler autour de lui. Ils étaient donc ainsi faits, ces terribles géants qui régnaient sur tout, qui réglaient tout et avaient eu le droit de disposer à leur gré de sa vie !
Il les connaissait : il y avait là Gob, le roi des gnomes, qui règne sur le Nord, ceint de l’épée qui correspond à son évocation. Près de lui se tenait Djin, prince du feu, et maître du Sud, porteur de son trident magique. Puis à sa gauche, la reine de l’Ouest, Nicksa, souveraine des eaux, avec devant elle, la coupe.
Le regard du vieil homme s’arrêta enfin sur celui qui avait à ses yeux le plus de pouvoirs. Paralda, seigneur du souffle, maître absolu de l’Est.
C’est lui qui prit le premier la parole. Il s’avança hors du groupe et clama :
« Voici venu le temps de la transformation. La bête infâme qui t’habite et qui te boit le sang lentement sans que tu t’en rendes compte doit être combattue et détruite. Fais appel à la foudre, mon frère, car elle seule est vraie et peut t’apporter la force qui t’est nécessaire pour vaincre.
Au-delà du temps, tu anéantiras le Dieu mensonge qui voulait te tromper pour se servir de toi, et tu puiseras ta force dans sa propre image.
Pour cela, utilise les mêmes moyens que lui.
Flatte-le, caresse-le, mais que ta caresse le brûle et le détruise. C’est alors que tu acquerras la liberté absolue. Possesseur de ta propre morale, tu pourras être fier de cette force, de cette vie nouvelle qui aura jailli de toi, et tu célèbreras le nouvel homme, l’être d’Absolu que tu auras forgé et aidé à naître. »
Ainsi parla le Grand Conseiller de l’Est.
Le vieil homme comprit la métamorphose et se rendit compte avec soulagement qu’il ne serait plus jamais le même.
Il commença à se sentir plus léger. La douleur de l’arrachement le prit. Le flou de son non-être s’échappa et, submergée par le feu, son enveloppe mensongère se réduisit en cendres, calcinée par la coulée brutale de la force purificatrice.
La lutte des deux forces annoncées avait commencé. Les quatre personnages, ceux qui avaient le vrai visage de la certitude de l’être avaient laissé l’homme seul, face à lui-même et à ses démons. On n’avait plus besoin d’eux maintenant.
Le combat des forces fut dur et pénible. Soudain, tout craqua et il prit forme. L’être absolu délivré des contraintes se transforma en loup. Ses dents devinrent puissantes et luisantes, son poil épais et dru, témoin de sa puissance.
Le loup vigoureux s’échappa dans la lumière sourde qui inonde la montagne devenue rouge. Déjà il repartit vers d’autres quêtes. Et c’est alors que tout commença.
Dans la lumière et dans la force.
Marion LUBREAC
Il s’arrêta un moment pour reprendre son souffle. Face à lui se dressait ce pourquoi il n’avait cessé de combattre. Ses souffrances, ses humiliations, et maintenant les joies de la découverte, tout cela recevait son dû. Oui, il savait qu’il avait atteint son but. Et même s’il n’allait en tirer aucune récompense, peu lui importait, au fond. Il aurait au moins le privilège de se reposer, longtemps et avec délice. A présent il avait le temps, il n’était plus pressé, puisqu’il allait bientôt savoir.
Mais alors qu’il comptait s’arrêter un peu avant de pénétrer dans la caverne, il vit s’ouvrir en deux la muraille, lentement, dans un effroyable grincement. Il fut pétrifié, impressionné et déconcerté par ce phénomène. Il n’y avait là personne pour ouvrir une porte ni même pour actionner un quelconque mécanisme.
Par l’orifice béant s’élevait à présent une musique étrange et attirante. On aurait dit un langage que le vieil homme comprenait à mi-mots. Il la sentait si proche, si amicale, mais trop compliquée pour lui. Il se sentait attiré par l’entrée. Il ne résista pas. Ne devait-il pas s’y rendre, de toute façon? Il se laissa porter par les sons qui s’élevaient, l’esprit en alerte et attentif à ce qui pouvait se passer autour de lui.
Dès qu’il eut passé la porte, la musique cessa. Alors, lentement, il pivota sur lui-même et regarda tout autour de lui.
Il ne remarqua cependant rien d’extraordinaire ou de spécial. Les murs étaient nus et ils semblaient humides.
D’ailleurs, il faisait très froid. Ce qui ne manqua pas de l’étonner, c’est qu’une grande clarté illuminait la grande salle dans laquelle il se trouvait. Cette lumière était comparable au jour, mais il n’y avait pourtant aucun orifice d’où elle pouvait fuser. De cette grande salle partaient plusieurs boyaux également éclairés, de longs boyaux étranglés qui semblaient se perdre dans le roc. Par peur de s’égarer, il préféra rester dans la grande salle .Le risque de s’égarer dans l’un de ces couloirs inconnus ne le tentait pas. Pourquoi vouloir aller à la rencontre de ceux qui, sans aucun doute, étaient déjà prévenus de son arrivée?
Son attente ne fut pas aussi courte qu’il l’avait imaginée. Bien que ses hôtes sussent parfaitement qu’il était là, ils n’étaient pas de ceux qui se précipitent de sitôt que quelqu’un daigne se présenter.
Il attendit un long moment qui lui parut être des siècles. Il avait attendu toute sa vie, mais si prêt du but cela lui fut à peine tolérable.
Enfin, au fond de la caverne, une muraille s’ouvrit à nouveau. Alors il pût voir, au centre d’une salle plus petite, un autel taillé dans la pierre sur laquelle était gravées de nombreuses inscriptions cabalistiques. De chaque côté de l’autel brûlait de longs cierges peints en rouges, et derrière lui s’étalaient de lourdes tentures de soie noire, masquant ainsi la sévère muraille.
Quelques secondes plus tard, il vit entrer, par le côté gauche, quatre personnages vêtus de longs vêtements blancs, le visage caché. Ils se placèrent tous derrière l’autel, en silence. La cérémonie était on ne peut plus rituelle. Au moment de leur entrée, la musique s’était élevée, différente, plus imposante, noble.
Les capuchons tombèrent. Le vieil homme observa attentivement la physionomie des quatre personnages dont il connaissait les noms pour en avoir souvent entendu parler autour de lui. Ils étaient donc ainsi faits, ces terribles géants qui régnaient sur tout, qui réglaient tout et avaient eu le droit de disposer à leur gré de sa vie !
Il les connaissait : il y avait là Gob, le roi des gnomes, qui règne sur le Nord, ceint de l’épée qui correspond à son évocation. Près de lui se tenait Djin, prince du feu, et maître du Sud, porteur de son trident magique. Puis à sa gauche, la reine de l’Ouest, Nicksa, souveraine des eaux, avec devant elle, la coupe.
Le regard du vieil homme s’arrêta enfin sur celui qui avait à ses yeux le plus de pouvoirs. Paralda, seigneur du souffle, maître absolu de l’Est.
C’est lui qui prit le premier la parole. Il s’avança hors du groupe et clama :
« Voici venu le temps de la transformation. La bête infâme qui t’habite et qui te boit le sang lentement sans que tu t’en rendes compte doit être combattue et détruite. Fais appel à la foudre, mon frère, car elle seule est vraie et peut t’apporter la force qui t’est nécessaire pour vaincre.
Au-delà du temps, tu anéantiras le Dieu mensonge qui voulait te tromper pour se servir de toi, et tu puiseras ta force dans sa propre image.
Pour cela, utilise les mêmes moyens que lui.
Flatte-le, caresse-le, mais que ta caresse le brûle et le détruise. C’est alors que tu acquerras la liberté absolue. Possesseur de ta propre morale, tu pourras être fier de cette force, de cette vie nouvelle qui aura jailli de toi, et tu célèbreras le nouvel homme, l’être d’Absolu que tu auras forgé et aidé à naître. »
Ainsi parla le Grand Conseiller de l’Est.
Le vieil homme comprit la métamorphose et se rendit compte avec soulagement qu’il ne serait plus jamais le même.
Il commença à se sentir plus léger. La douleur de l’arrachement le prit. Le flou de son non-être s’échappa et, submergée par le feu, son enveloppe mensongère se réduisit en cendres, calcinée par la coulée brutale de la force purificatrice.
La lutte des deux forces annoncées avait commencé. Les quatre personnages, ceux qui avaient le vrai visage de la certitude de l’être avaient laissé l’homme seul, face à lui-même et à ses démons. On n’avait plus besoin d’eux maintenant.
Le combat des forces fut dur et pénible. Soudain, tout craqua et il prit forme. L’être absolu délivré des contraintes se transforma en loup. Ses dents devinrent puissantes et luisantes, son poil épais et dru, témoin de sa puissance.
Le loup vigoureux s’échappa dans la lumière sourde qui inonde la montagne devenue rouge. Déjà il repartit vers d’autres quêtes. Et c’est alors que tout commença.
Dans la lumière et dans la force.
Marion LUBREAC
CAEDES.
On sonna à la porte.
Dehors, il faisait froid. Il demanda qu’on ouvre. Sans mot dire, en allongeant le cou ce qui lui donnait une allure un peu niaise, une jeune étrangère entra et se dirigea à grandes enjambées vers le feu qui brûlait dans la cheminée. Elle devait avoir environ trente ans, et l’extrême pâleur de son visage faisait ressortir deux grands yeux noirs très fixes. Elle s’accroupit sur la pierre bleue à gicler, là où RENAIN le vieux domestique coupe le cou des canards le dimanche et les jours de fête. Malgré ses manières quelque peu singulières, elle paraissait sympathique et il lui offrit de rester. Elle ôta alors son châle noir et étendit ses doigts gourds au-dessus des flammes qui crépitaient dans l’âtre. S’installant plus confortablement, elle Ramena ses genoux sous le menton, et tout en le dévisageant effrontément, elle se mit à lui raconter n’importe quoi.
Lui, médusé, s’écarta imperceptiblement sans rien dire. Il l’observait, étonné par le brusque changement d’attitude qu’il observait. Une lueur triste assombrissait parfois son regard lorsqu’elle parlait. Elle entrecoupait alors son récit de silences imprécis ou de rires hystériques qui le mettaient mal à l’aise. Son hôte ne manqua pas de remarquer en elle une grande perturbation. C’était vraiment une personne très bizarre. Ses yeux un peu fous fendaient son visage sans avoir l’air de le voir, comme si elle lisait à travers lui, ce qui l’emplissait d’une indicible angoisse. Il ne pouvait retenir ce regard fixe.
Soudain, la jeune femme lui saisit le bras et lui dit en resserrant son étreinte :
« Merci, vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point je vous suis reconnaissante. Et pourtant, je vais devoir vous demander de me pardonner. »
Il se dégagea assez vivement, manifestement agacé par l’attitude toujours plus étrange de sa compagne. C’était le genre de femme encombrante dont on ne savait que faire.
C’est lui qui, le premier, découvrit son corps pendu dans l’armoire.
En ouvrant la porte, il avait été frappé par le visage violet, les yeux révulsés, horribles à voir. Blanc, immobile, le cadavre oscillant de la morte l’hypnotisait.
« Drôle de façon d’attirer mon attention, songea-t-il. Ce n’est certes pas ainsi qu’elle va m’apitoyer. »
En fait, elle ne lui plaisait plus du tout. Elle ne lui paraissait pas franche. Il se sentait très mal à l’aise en sa présence. Il n’attendait qu’une chose : Qu’elle s’en aille. Il sentait malgré tout, contre sa décision intime, qu’elle était arrivée sournoisement à s’infiltrer en lui. Le visage hideusement changé lui souriait et les yeux blancs, si blancs dans ce visage affreux semblaient le fixer. Il se prit à penser que toujours le spectre serait là, à lui sourire. Toujours trop prêt de lui, toujours trop proche. Il se sentait comme happé par la bouche rouge.
Il prit la décision de décrocher le cadavre. Il étendit la femme sur le lit et alla ouvrir la fenêtre pour faire entrer la lumière et un peu d’air frais. Après avoir baissé les paupières de la morte, il la recouvrit d’un drap. Il était maintenant soulagé de ne plus voir ce visage figé par la mort. Il avait, au fond de la gorge, une grande envie de vomir. Il était effondré sur une chaise, près du lit où elle gisait. Incapable de rassembler ses idées. La tête vide. Les yeux agrandis par l’horreur de la situation. Il était là, sans pouvoir bouger. A la longue, Il se demanda quand même pourquoi elle était venue se pendre justement chez lui. Par ennui? Peut-être était-ce de sa faute à lui? Avait-il fait preuve d’indifférence? Une sensation de culpabilité l’emplissait maintenant, et il ne parvenait pas à se raisonner. L’attitude fantasque de la femme lui laissait une singulière impression.
Il se rasséréna en pensant que bientôt, le croque-mort passerait. RENAIN ne s’était-il pas chargé de toute la procédure ?
Dehors, il faisait froid. Il demanda qu’on ouvre. Sans mot dire, en allongeant le cou ce qui lui donnait une allure un peu niaise, une jeune étrangère entra et se dirigea à grandes enjambées vers le feu qui brûlait dans la cheminée. Elle devait avoir environ trente ans, et l’extrême pâleur de son visage faisait ressortir deux grands yeux noirs très fixes. Elle s’accroupit sur la pierre bleue à gicler, là où RENAIN le vieux domestique coupe le cou des canards le dimanche et les jours de fête. Malgré ses manières quelque peu singulières, elle paraissait sympathique et il lui offrit de rester. Elle ôta alors son châle noir et étendit ses doigts gourds au-dessus des flammes qui crépitaient dans l’âtre. S’installant plus confortablement, elle Ramena ses genoux sous le menton, et tout en le dévisageant effrontément, elle se mit à lui raconter n’importe quoi.
Lui, médusé, s’écarta imperceptiblement sans rien dire. Il l’observait, étonné par le brusque changement d’attitude qu’il observait. Une lueur triste assombrissait parfois son regard lorsqu’elle parlait. Elle entrecoupait alors son récit de silences imprécis ou de rires hystériques qui le mettaient mal à l’aise. Son hôte ne manqua pas de remarquer en elle une grande perturbation. C’était vraiment une personne très bizarre. Ses yeux un peu fous fendaient son visage sans avoir l’air de le voir, comme si elle lisait à travers lui, ce qui l’emplissait d’une indicible angoisse. Il ne pouvait retenir ce regard fixe.
Soudain, la jeune femme lui saisit le bras et lui dit en resserrant son étreinte :
« Merci, vous ne pouvez pas vous rendre compte à quel point je vous suis reconnaissante. Et pourtant, je vais devoir vous demander de me pardonner. »
Il se dégagea assez vivement, manifestement agacé par l’attitude toujours plus étrange de sa compagne. C’était le genre de femme encombrante dont on ne savait que faire.
C’est lui qui, le premier, découvrit son corps pendu dans l’armoire.
En ouvrant la porte, il avait été frappé par le visage violet, les yeux révulsés, horribles à voir. Blanc, immobile, le cadavre oscillant de la morte l’hypnotisait.
« Drôle de façon d’attirer mon attention, songea-t-il. Ce n’est certes pas ainsi qu’elle va m’apitoyer. »
En fait, elle ne lui plaisait plus du tout. Elle ne lui paraissait pas franche. Il se sentait très mal à l’aise en sa présence. Il n’attendait qu’une chose : Qu’elle s’en aille. Il sentait malgré tout, contre sa décision intime, qu’elle était arrivée sournoisement à s’infiltrer en lui. Le visage hideusement changé lui souriait et les yeux blancs, si blancs dans ce visage affreux semblaient le fixer. Il se prit à penser que toujours le spectre serait là, à lui sourire. Toujours trop prêt de lui, toujours trop proche. Il se sentait comme happé par la bouche rouge.
Il prit la décision de décrocher le cadavre. Il étendit la femme sur le lit et alla ouvrir la fenêtre pour faire entrer la lumière et un peu d’air frais. Après avoir baissé les paupières de la morte, il la recouvrit d’un drap. Il était maintenant soulagé de ne plus voir ce visage figé par la mort. Il avait, au fond de la gorge, une grande envie de vomir. Il était effondré sur une chaise, près du lit où elle gisait. Incapable de rassembler ses idées. La tête vide. Les yeux agrandis par l’horreur de la situation. Il était là, sans pouvoir bouger. A la longue, Il se demanda quand même pourquoi elle était venue se pendre justement chez lui. Par ennui? Peut-être était-ce de sa faute à lui? Avait-il fait preuve d’indifférence? Une sensation de culpabilité l’emplissait maintenant, et il ne parvenait pas à se raisonner. L’attitude fantasque de la femme lui laissait une singulière impression.
Il se rasséréna en pensant que bientôt, le croque-mort passerait. RENAIN ne s’était-il pas chargé de toute la procédure ?
jeudi 3 février 2011
MUTATION
Courte et trapue, ramassée sous un tas de chiffons gris et sales, la petite vieille aux cheveux jaunes, en savates et aux bas troués passe dans la rue envahie de flocons de neige, que la faible lumière des vieux réverbères d’acier noir éclaire encore malgré cette heure tardive. Elle court presque, autant qu’elle le peut, menaçant de perdre ses vieilles chaussures éculées et trouées au bout. Elle se dépêche, la vieille du coin du bois. Il fait si froid aujourd’hui !
Elle atteint maintenant sa vieille petite maison aux fenêtres argentées de beaux dessins de givre. Puis elle entre dans la petite pièce glacée, allume un feu et se colle à côté. Le fauteuil sent mauvais. C’est le chien qui est mort il y a quelques semaines : son seul ami, son seul réconfort. Elle ne peut se résoudre à s’en séparer. Il restera là, il dort. Elle pense : c’est le soir de Noël !
Comme il fait froid…Elle en a vu des gens, aujourd’hui, dans la rue, en quête d’une foule de choses belles et brillantes dans des paquets enrubannés. Elle est bien trop pauvre, elle. Elle ne peut que rêver. Elle a passé presque toute la journée à moitié cachée (Elle n’aurait pas voulu qu’on croie qu’elle était en train de mendier !) Alors elle s’amusait à regarder les gens passer : Qu’ils étaient beaux, les gens, qu’ils étaient gais! Avec leurs yeux brillants au-dessus des paquets ! Et elle, la vieille, cachée dans son coin, riait tout doucement en hochant sa grosse tête, les yeux gourmands de voir toutes ces têtes aux nez rouges.
Assise dans son fauteuil, la vieille rit encore avant de s’endormir, pour rêver qu’on lui offre un cadeau.
Mais voilà qu’on frappe à la porte, doucement, doucement. C’est une petite fille, qui entre en souriant. Elle a les yeux noirs. Elle regarde sans rien dire les yeux délavés de la vieille qui se lève, et la prend par la main. La douce petite fille aux cheveux gris l’emmène avec elle.
Et le lendemain soir, tassée et froide dans son vieux fauteuil, blottie contre un chien mort, on retrouve la petite fille aux yeux pâles, morte de froid ou de vieillesse…Par le carreau on voit nettement les deux yeux noirs d’une vieille femme qui rient, et qui se sauvent dans la nuit…
Elle atteint maintenant sa vieille petite maison aux fenêtres argentées de beaux dessins de givre. Puis elle entre dans la petite pièce glacée, allume un feu et se colle à côté. Le fauteuil sent mauvais. C’est le chien qui est mort il y a quelques semaines : son seul ami, son seul réconfort. Elle ne peut se résoudre à s’en séparer. Il restera là, il dort. Elle pense : c’est le soir de Noël !
Comme il fait froid…Elle en a vu des gens, aujourd’hui, dans la rue, en quête d’une foule de choses belles et brillantes dans des paquets enrubannés. Elle est bien trop pauvre, elle. Elle ne peut que rêver. Elle a passé presque toute la journée à moitié cachée (Elle n’aurait pas voulu qu’on croie qu’elle était en train de mendier !) Alors elle s’amusait à regarder les gens passer : Qu’ils étaient beaux, les gens, qu’ils étaient gais! Avec leurs yeux brillants au-dessus des paquets ! Et elle, la vieille, cachée dans son coin, riait tout doucement en hochant sa grosse tête, les yeux gourmands de voir toutes ces têtes aux nez rouges.
Assise dans son fauteuil, la vieille rit encore avant de s’endormir, pour rêver qu’on lui offre un cadeau.
Mais voilà qu’on frappe à la porte, doucement, doucement. C’est une petite fille, qui entre en souriant. Elle a les yeux noirs. Elle regarde sans rien dire les yeux délavés de la vieille qui se lève, et la prend par la main. La douce petite fille aux cheveux gris l’emmène avec elle.
Et le lendemain soir, tassée et froide dans son vieux fauteuil, blottie contre un chien mort, on retrouve la petite fille aux yeux pâles, morte de froid ou de vieillesse…Par le carreau on voit nettement les deux yeux noirs d’une vieille femme qui rient, et qui se sauvent dans la nuit…
MÉTEMPSYCHOSE.
Comme punition à sa souveraineté et à sa grandeur, son ombre physique commença à se dégrader. Tout son cerveau se mit à se cristalliser. Ses yeux s’abaissèrent dans les coins, et sa bouche se fissurait maintenant. De grands lambeaux tournoyants dans son crâne se mirent à pourrir, très rapidement. Ses doigts devinrent crochus, tandis que tous ses nerfs s’agglutinaient et se resserraient. Pour se rassurer et empêcher le tourbillonnement vertigineux de son état, il essaya de penser que son âme se détachait et trouvait sa voie dans l’Absolu. Mais toute sa raison n’y pouvait rien. Son nez était encombré de poils perfides et de poussières jaunâtres, ce qui gênait considérablement sa respiration. Sa gorge était enserrée de peaux longues et brunes qui l’étouffaient et lui faisaient mal. Il était suspendu. Suspendu entre la Terre et son voyage. Détaché du réel et loin encore du néant.
Bien content de n’être pas devenu un porc, il était encore inquiet cependant de n’être rien du tout.
Pas de puissance. Pas de puissance de destruction. Pas de puissance. Pas d’impulsion. Pas de pouvoir de réalisation. Que du désir.
A travers les fentes de son absurdité, il aperçut son double qui lui était encore étranger : grand, terrible, neuf et courageux.
Rassuré, il se laissa aller. Confiant, il coupa les derniers fils de ses cheveux et s’envola.
La violence du vol l’étourdit. Il s’évanouit, conscient du vide mais serein cependant…
Bien content de n’être pas devenu un porc, il était encore inquiet cependant de n’être rien du tout.
Pas de puissance. Pas de puissance de destruction. Pas de puissance. Pas d’impulsion. Pas de pouvoir de réalisation. Que du désir.
A travers les fentes de son absurdité, il aperçut son double qui lui était encore étranger : grand, terrible, neuf et courageux.
Rassuré, il se laissa aller. Confiant, il coupa les derniers fils de ses cheveux et s’envola.
La violence du vol l’étourdit. Il s’évanouit, conscient du vide mais serein cependant…
MELCHIOR A PLUME.
Melchior avait une plume. Une plume fée qui n’était que douleur. Il aimait sa plume, si pauvre, si triste. Il l’aimait sincèrement. Mais la plume voulait s’envoler. Comment la retenir ? Enervée, électrifiée, exacerbée, la plume trouvait mille prétextes pour repousser le refuge de Melchior.
Certes, il n’était pas toujours réceptif et toujours très égoïste. Cependant, jamais il ne mentait à sa plume adorée : il la respectait trop…
Melchior était un magicien aux multiples facettes. Sans cesse, mille idées s’embranchaient, s’entremêlaient, et la fonction qu’il donnait à la principale d’entre - elles n’était pas toujours celle que les gens auraient aimé lui donner. En fait, il était rarement sur la même longueur d’ondes que les autres. Et pourtant, maître Melchior gardait confiance. Même si les autres, les buveurs de sang, les chercheurs empiriques ne le comprenaient pas, il espérait que sa plume, sa seule amie, pouvait le comprendre et même lui pardonner son manque de cohérence. Elle seule comptait pour lui.
Mais hélas Plume souffrait trop pour être capable de pardonner l’impardonnable : pardonner, c’est se retrouver seul.
Tout ce qu’elle voulait maintenant, c’était vivre libre.
Melchior se trompait quand il croyait que sa plume devenait brillante et soyeuse, qu’elle prenait de la vigueur. Elle souffrait trop. Elle se rebellait. Melchior se sentit responsable : elle n’était plus sienne, et refusait qui plus est qu’il s’offre à elle. Il avait mal, très mal de voir comment elle se comportait. Mais il l’excusait, car son amour pour elle dépassait la raison et il lisait entre ses fibres ce qui se passait en elle.
La plume, hérissée de colère, persuadée que son ami n’était qu’un hideux masque mortuaire, le sommait de quitter l’histoire. Melchior l’aimait, elle comptait beaucoup. Il se tournait volontiers vers elle pour l’aimer et l’écouter ; mais elle en avait assez et refusait d’admettre qu’un sorcier à ses lubies.
Melchior, désespéré, fit son bagage d’étoiles et de rayons de lumière : ses écrits, il les serra contre son âme, car c’était la chose qui lui importait le plus. Il en prenait plus de soin encore que ses propres expériences qu’il abandonnait dans le désordre. Il tendit alors une main en délire et attendit en vain une dernière caresse …
Certes, il n’était pas toujours réceptif et toujours très égoïste. Cependant, jamais il ne mentait à sa plume adorée : il la respectait trop…
Melchior était un magicien aux multiples facettes. Sans cesse, mille idées s’embranchaient, s’entremêlaient, et la fonction qu’il donnait à la principale d’entre - elles n’était pas toujours celle que les gens auraient aimé lui donner. En fait, il était rarement sur la même longueur d’ondes que les autres. Et pourtant, maître Melchior gardait confiance. Même si les autres, les buveurs de sang, les chercheurs empiriques ne le comprenaient pas, il espérait que sa plume, sa seule amie, pouvait le comprendre et même lui pardonner son manque de cohérence. Elle seule comptait pour lui.
Mais hélas Plume souffrait trop pour être capable de pardonner l’impardonnable : pardonner, c’est se retrouver seul.
Tout ce qu’elle voulait maintenant, c’était vivre libre.
Melchior se trompait quand il croyait que sa plume devenait brillante et soyeuse, qu’elle prenait de la vigueur. Elle souffrait trop. Elle se rebellait. Melchior se sentit responsable : elle n’était plus sienne, et refusait qui plus est qu’il s’offre à elle. Il avait mal, très mal de voir comment elle se comportait. Mais il l’excusait, car son amour pour elle dépassait la raison et il lisait entre ses fibres ce qui se passait en elle.
La plume, hérissée de colère, persuadée que son ami n’était qu’un hideux masque mortuaire, le sommait de quitter l’histoire. Melchior l’aimait, elle comptait beaucoup. Il se tournait volontiers vers elle pour l’aimer et l’écouter ; mais elle en avait assez et refusait d’admettre qu’un sorcier à ses lubies.
Melchior, désespéré, fit son bagage d’étoiles et de rayons de lumière : ses écrits, il les serra contre son âme, car c’était la chose qui lui importait le plus. Il en prenait plus de soin encore que ses propres expériences qu’il abandonnait dans le désordre. Il tendit alors une main en délire et attendit en vain une dernière caresse …
MASQUE
.
Il y avait une énorme tache de sang. Et un corps. Un corps qui gênait. Bey était assis dans le train quand il vit cet homme écrasé sur la voie. Fasciné, il regardait de tous ses yeux, sans y croire vraiment. Il était sidéré qu’aucun autre voyageur n’ait remarqué cette tache de sang et ce corps éclaté. Etait-ce de l’indifférence ? Il en était gêné.
Comme le train s’arrêtait, il en profita pour descendre discrètement côté voie. Là, il se cacha derrière un wagon. Le train s’ébranla. Soulagé, Bey sortit de sa cachette et entreprit de nettoyer la tache. Puis il chercha à masquer le corps. Ce n’était pourtant pas le bon endroit. Il jeta un coup d’œil circulaire. Il était tout seul, et il faisait plutôt chaud. Longeant la voie, il y avait un fossé très profond, emmêlé d’herbes drues et très vertes. C’est là qu’il balança le corps. Ensuite il s’essuya proprement les mains aux herbes.
Puis il remonta calmement dans un train et continua sa route.
Il y avait une énorme tache de sang. Et un corps. Un corps qui gênait. Bey était assis dans le train quand il vit cet homme écrasé sur la voie. Fasciné, il regardait de tous ses yeux, sans y croire vraiment. Il était sidéré qu’aucun autre voyageur n’ait remarqué cette tache de sang et ce corps éclaté. Etait-ce de l’indifférence ? Il en était gêné.
Comme le train s’arrêtait, il en profita pour descendre discrètement côté voie. Là, il se cacha derrière un wagon. Le train s’ébranla. Soulagé, Bey sortit de sa cachette et entreprit de nettoyer la tache. Puis il chercha à masquer le corps. Ce n’était pourtant pas le bon endroit. Il jeta un coup d’œil circulaire. Il était tout seul, et il faisait plutôt chaud. Longeant la voie, il y avait un fossé très profond, emmêlé d’herbes drues et très vertes. C’est là qu’il balança le corps. Ensuite il s’essuya proprement les mains aux herbes.
Puis il remonta calmement dans un train et continua sa route.
MAGIE.
Je donne un pain bleu
Serti d’étoiles multicolores
A l’enfant qui se tend
Dans son rêve de vie.
Je donne l’eau du ciel,
L’eau d’or et de diamant,
A la femme rieuse
Porteuse de fruits verts.
Et je brise la coque
De la bête puante,
Qui venait, menaçante,
Pour étouffer la nuit.
J’attends,
A l’écoute du vent,
Sous les tons bleus de l’ombre.
J’efface…
Serti d’étoiles multicolores
A l’enfant qui se tend
Dans son rêve de vie.
Je donne l’eau du ciel,
L’eau d’or et de diamant,
A la femme rieuse
Porteuse de fruits verts.
Et je brise la coque
De la bête puante,
Qui venait, menaçante,
Pour étouffer la nuit.
J’attends,
A l’écoute du vent,
Sous les tons bleus de l’ombre.
J’efface…
LITIGE.
- Pourquoi me fixe-t-il de la sorte ? Il m’empêche d’être !
Robert PIERCE se sentait très gêné par le lourd regard accusateur de PAGE qui le fixait maintenant depuis trois quarts d’heure exactement. Il n’osait ni se lever, ni bouger les jambes, ni même baisser les yeux.
- As- tu découvert ce que tu cherchais ? Demanda brusquement PAGE.
- Quoi… l ’ Absolu ? Pas encore ! Répondit aussitôt Robert PIERCE.
A cet instant, il se demanda s’il avait bien passé l’examen. Car bien sûr, cette question ne pouvait être qu’un test ! (Au moins avait- il à présent la faculté de bouger ses membres endoloris…)
Cependant, il nota que PAGE avait de nouveau le regard fixé sur lui. Il le regardait soigneusement, d’un air mi - amusé, mi - moqueur, et Robert PIERCE pensa qu’il avait exactement une tête de rat.
Que me veut-il donc ? Se demanda-t-il. Le regard de PAGE longea son visage et descendit subitement le long de ses bras qu’il songea un instant à dissimuler. Lui-même posa furtivement les yeux sur l’articulation, et il fut pétrifié d’horreur : son bras se fissurait !
Il y avait sur l’avant-bras une longue fente assez profonde : le seul fait de respirer approfondissait l’écartement, mais il fut étonné de ne voir aucune larme de sang…Les bords étaient nets et bien faits : c’était une belle blessure, pensa-t-il.
Mais il se rappela que sa situation n’avait quand même rien de normal. Il fouilla PAGE du regard : il était tout à fait tranquille, celui-là ! Il le contemplait, impassible. Pas un muscle de son visage ne frémissait. Il ne semblait même pas étonné. Il savait ce qui se passait pourtant. C’était même lui qui avait attiré son attention sur la fente qui se craquelait.
C’est alors qu’un petit soupçon jaillit dans sa pensée :
Ne serait-il pas le seul responsable de cette fissure ? PAGE n’aurait-il pas provoqué cela, de lui-même, pour une raison quelconque ? Bien qu’enflammé de colère, il se savait au fond coupable et se doutait bien que son attitude précédente devait être en relation directe avec le phénomène présent. C’est pourquoi il n’osa pas crier et gifler PAGE de toutes ses forces, bien qu’il en eut fortement envie. A peine osa-t-il prononcer, d’une voix molle et incertaine :
Je ne vois pas du tout d’où cela peut venir, PAGE, je n’ai pourtant manipulé aucune arme, puisque je n’ai pas voulu travailler aujourd’hui !
A ces mots, PAGE sortit littéralement de ses gonds :
Comment, misérable hypocrite, tu prétends que ta punition est injuste ? Tu oses affirmer que tu n’as pas mérité cela, que tu n’y es pour rien ? Infâme couleuvre, répugnant objet ! S’écria-t-il violemment. Il avait sauté sur la chaise où il était assis quelques instants auparavant, en brandissant très haut au-dessus de sa tête l’hebdomadaire qu’il venait de trouver dans le courrier.
Que peuvent-ils bien raconter là-dedans qui le mette dans une telle fureur ? S’inquiéta Robert PIERCE, qui ne tenait vraiment pas à mettre PAGE en colère (ils devaient vivre ensemble encore plusieurs mois avant son départ pour le nord ou l’est, peu importait). Il fixait avec effroi le journal qui menaçait de lui tomber rageusement sur le crâne.
Soudain, la colère de PAGE tomba d’un coup. Il descendit de la chaise et se rassit en souriant.
-N’aie crainte, après tout, nous n’en avons plus pour longtemps. La paix sera bientôt à l’image de ta vérité et la clarté régnera. Rassure-toi, vas, tu trouveras bientôt ce que tu as longtemps cherché. Tes efforts ont été louables et nous t’en remercions.
A ces mots, PAGE donna un violent coup de poing au centre de la table et la chaise de Robert PIERCE se désintégra au-dessus d’un immense trou noir, hérissé de pointes aiguës et baveuses d’acide.
Déséquilibré, Robert PIERCE alla donner de la tête contre un morceau de métal plat. Sa cervelle gicla sur les pointes et alla s’étaler près de corps au fond du trou béant, sur un bloc de béton.
PAGE referma les battants, masquant ainsi le caveau. Il sonna. Une femme de ménage arriva en clignant de l’œil et lava les taches de sang qui maculaient le sol par places.
PAGE alluma une cigarette et se remit à écrire à son banquier.
Dehors, il pleine lune brillait dans un ciel noir sans étoile.
Marion Lubreac
Robert PIERCE se sentait très gêné par le lourd regard accusateur de PAGE qui le fixait maintenant depuis trois quarts d’heure exactement. Il n’osait ni se lever, ni bouger les jambes, ni même baisser les yeux.
- As- tu découvert ce que tu cherchais ? Demanda brusquement PAGE.
- Quoi… l ’ Absolu ? Pas encore ! Répondit aussitôt Robert PIERCE.
A cet instant, il se demanda s’il avait bien passé l’examen. Car bien sûr, cette question ne pouvait être qu’un test ! (Au moins avait- il à présent la faculté de bouger ses membres endoloris…)
Cependant, il nota que PAGE avait de nouveau le regard fixé sur lui. Il le regardait soigneusement, d’un air mi - amusé, mi - moqueur, et Robert PIERCE pensa qu’il avait exactement une tête de rat.
Que me veut-il donc ? Se demanda-t-il. Le regard de PAGE longea son visage et descendit subitement le long de ses bras qu’il songea un instant à dissimuler. Lui-même posa furtivement les yeux sur l’articulation, et il fut pétrifié d’horreur : son bras se fissurait !
Il y avait sur l’avant-bras une longue fente assez profonde : le seul fait de respirer approfondissait l’écartement, mais il fut étonné de ne voir aucune larme de sang…Les bords étaient nets et bien faits : c’était une belle blessure, pensa-t-il.
Mais il se rappela que sa situation n’avait quand même rien de normal. Il fouilla PAGE du regard : il était tout à fait tranquille, celui-là ! Il le contemplait, impassible. Pas un muscle de son visage ne frémissait. Il ne semblait même pas étonné. Il savait ce qui se passait pourtant. C’était même lui qui avait attiré son attention sur la fente qui se craquelait.
C’est alors qu’un petit soupçon jaillit dans sa pensée :
Ne serait-il pas le seul responsable de cette fissure ? PAGE n’aurait-il pas provoqué cela, de lui-même, pour une raison quelconque ? Bien qu’enflammé de colère, il se savait au fond coupable et se doutait bien que son attitude précédente devait être en relation directe avec le phénomène présent. C’est pourquoi il n’osa pas crier et gifler PAGE de toutes ses forces, bien qu’il en eut fortement envie. A peine osa-t-il prononcer, d’une voix molle et incertaine :
Je ne vois pas du tout d’où cela peut venir, PAGE, je n’ai pourtant manipulé aucune arme, puisque je n’ai pas voulu travailler aujourd’hui !
A ces mots, PAGE sortit littéralement de ses gonds :
Comment, misérable hypocrite, tu prétends que ta punition est injuste ? Tu oses affirmer que tu n’as pas mérité cela, que tu n’y es pour rien ? Infâme couleuvre, répugnant objet ! S’écria-t-il violemment. Il avait sauté sur la chaise où il était assis quelques instants auparavant, en brandissant très haut au-dessus de sa tête l’hebdomadaire qu’il venait de trouver dans le courrier.
Que peuvent-ils bien raconter là-dedans qui le mette dans une telle fureur ? S’inquiéta Robert PIERCE, qui ne tenait vraiment pas à mettre PAGE en colère (ils devaient vivre ensemble encore plusieurs mois avant son départ pour le nord ou l’est, peu importait). Il fixait avec effroi le journal qui menaçait de lui tomber rageusement sur le crâne.
Soudain, la colère de PAGE tomba d’un coup. Il descendit de la chaise et se rassit en souriant.
-N’aie crainte, après tout, nous n’en avons plus pour longtemps. La paix sera bientôt à l’image de ta vérité et la clarté régnera. Rassure-toi, vas, tu trouveras bientôt ce que tu as longtemps cherché. Tes efforts ont été louables et nous t’en remercions.
A ces mots, PAGE donna un violent coup de poing au centre de la table et la chaise de Robert PIERCE se désintégra au-dessus d’un immense trou noir, hérissé de pointes aiguës et baveuses d’acide.
Déséquilibré, Robert PIERCE alla donner de la tête contre un morceau de métal plat. Sa cervelle gicla sur les pointes et alla s’étaler près de corps au fond du trou béant, sur un bloc de béton.
PAGE referma les battants, masquant ainsi le caveau. Il sonna. Une femme de ménage arriva en clignant de l’œil et lava les taches de sang qui maculaient le sol par places.
PAGE alluma une cigarette et se remit à écrire à son banquier.
Dehors, il pleine lune brillait dans un ciel noir sans étoile.
Marion Lubreac
LE POUVOIR DE L’ABSOLU.
Devant l’indomptable force de son adversaire, le silencieux POTERE s’est écroulé : il est là, face au vide, face à l’absolu.
-« Tu m’as pourtant cherché longtemps, dit l’Absolu. Et maintenant que tu me tiens, que fais-tu ? Tu t ‘écroules ? Mais tu t’écroules, ma parole ! Vipère, horrible vipère, petit comédien ! Relève-toi et avance, serre-moi, approche-moi !
Tu me désirais, tu me provoquais, sans relâche, tu t’élançais vers moi pour m’étreindre. Et maintenant, maintenant que fais-tu ? Comédien, comédien, vipère ! …Ecoute maintenant, écoute mon verdict. »
Et l’Absolu obligea POTERE, toujours silencieux, de plus en plus humilié et petit, à le regarder bien en face. Il saisit le menton de POTERE entre ses grands doigts de verre et se mit à lui secouer la tête, fort, de plus en plus fort, et en serrant de plus en plus. Plus il secouait plus la tête de POTERE se réduisait, et plus ses yeux ressortaient de sa figure tirée.
-« Meurs, meurs, meurs ! » criait l’absolu, en sautant sur ses grandes jambes maigres, hors de lui maintenant.
Dans un craquement de vieille croûte puante, POTERE se brisa. L’absolu, enfin calmé, s’éloigna, les mains dans les poches, un peu plus droit, un peu plus jeune.
Une fois de plus, il avait gagné.
-« Tu m’as pourtant cherché longtemps, dit l’Absolu. Et maintenant que tu me tiens, que fais-tu ? Tu t ‘écroules ? Mais tu t’écroules, ma parole ! Vipère, horrible vipère, petit comédien ! Relève-toi et avance, serre-moi, approche-moi !
Tu me désirais, tu me provoquais, sans relâche, tu t’élançais vers moi pour m’étreindre. Et maintenant, maintenant que fais-tu ? Comédien, comédien, vipère ! …Ecoute maintenant, écoute mon verdict. »
Et l’Absolu obligea POTERE, toujours silencieux, de plus en plus humilié et petit, à le regarder bien en face. Il saisit le menton de POTERE entre ses grands doigts de verre et se mit à lui secouer la tête, fort, de plus en plus fort, et en serrant de plus en plus. Plus il secouait plus la tête de POTERE se réduisait, et plus ses yeux ressortaient de sa figure tirée.
-« Meurs, meurs, meurs ! » criait l’absolu, en sautant sur ses grandes jambes maigres, hors de lui maintenant.
Dans un craquement de vieille croûte puante, POTERE se brisa. L’absolu, enfin calmé, s’éloigna, les mains dans les poches, un peu plus droit, un peu plus jeune.
Une fois de plus, il avait gagné.
LE HENNIN
Ce soir encore, elle est venue, la grande et belle dame au hennin de soie. Elle était dans la nuit, tout au pied de mon lit, et elle me souriait.
La première fois qu’elle est venue, j’ai eu très peur. J’ai dévalé les deux escaliers qui me séparent des pièces du bas de notre maison, et puis je me suis raisonnée : sûrement un mauvais tour d’une imagination trop fertile.
Ce soir encore, elle est venue. Mais elle a beau sourire, me montrer qu’elle m’aime et qu’elle voudrait être mon amie : moi, je la déteste. Elle ne parle pas, elle ne bouge pas, elle sourit. Calmement. Comme hypnotisée. Mais moi je ne peux pas m’habituer à sa présence. Je vous l’ai dit : je la déteste, et je la regarde méchamment, puis je lui tourne le dos : alors, elle est bien forcée de s’en aller. Vraiment je la hais. Elle est ignoble avec son sale amour, elle m’agace avec son calme tranquille. Elle semble si sûre de pouvoir rester à mes côtés sans que je puisse m’y opposer ! Sans doute croit-elle qu’un jour, je lui sourirai.J’ai déjà essayé de changer de chambre, pour lui faire une mauvaise blague. Mais dans l’autre chambre, je l’entends bruire autour de moi, et elle est si près de moi que je vois des petites lumières palpiter au-dessus de la table de nuit, près du lit. Je sens son souffle sur mes cheveux et çà, je ne peux pas le supporter. Le jour où j’étais au bord de la rivière, à l’écluse, je me suis vite penchée pour la noyer : elle était sur mes épaules, agrippée à mon cou de ses petites mains blanches. Elle est tombée, m’a regardée d’un air triste, et moi j’ai ri, sauvagement. Puis j’ai lancé mon pied dans l’eau pour brouiller son image, effacer son reflet maudit.
Ce soir là, j’ai dormi dans la chambre bleue, cette chambre que j’aime tellement parce que j’y ai si peur : je dors bien quand j’ai peur. Le lit est haut, à côté il y a une grande armoire à glace dans laquelle je ne regarde jamais par crainte d’y voir une autre personne que moi et qui m’est inconnue. Je ferme bien les rideaux bleus : je suis sûre, en effet, que s’ils ne sont pas fermés correctement, une main va se glisser pour demander de l’aide (ou bien pour m’étrangler.) Et cette nuit-là, elle a gratté à la porte, doucement, timidement. Moi je n’ai pas ouvert. Je me suis bouché les oreilles pour ne pas l’entendre gratter. ..Elle a fini par partir, je crois : en tout cas, moi, j’ai fini par m’endormir, les mains sur les oreilles.
Mais j’ai beau l’écraser, l’humilier, elle revient, elle attend, elle sourit, toute droite et blanche dans ses habits couleur vieux temps.
La première fois qu’elle est venue, j’ai eu très peur. J’ai dévalé les deux escaliers qui me séparent des pièces du bas de notre maison, et puis je me suis raisonnée : sûrement un mauvais tour d’une imagination trop fertile.
Ce soir encore, elle est venue. Mais elle a beau sourire, me montrer qu’elle m’aime et qu’elle voudrait être mon amie : moi, je la déteste. Elle ne parle pas, elle ne bouge pas, elle sourit. Calmement. Comme hypnotisée. Mais moi je ne peux pas m’habituer à sa présence. Je vous l’ai dit : je la déteste, et je la regarde méchamment, puis je lui tourne le dos : alors, elle est bien forcée de s’en aller. Vraiment je la hais. Elle est ignoble avec son sale amour, elle m’agace avec son calme tranquille. Elle semble si sûre de pouvoir rester à mes côtés sans que je puisse m’y opposer ! Sans doute croit-elle qu’un jour, je lui sourirai.J’ai déjà essayé de changer de chambre, pour lui faire une mauvaise blague. Mais dans l’autre chambre, je l’entends bruire autour de moi, et elle est si près de moi que je vois des petites lumières palpiter au-dessus de la table de nuit, près du lit. Je sens son souffle sur mes cheveux et çà, je ne peux pas le supporter. Le jour où j’étais au bord de la rivière, à l’écluse, je me suis vite penchée pour la noyer : elle était sur mes épaules, agrippée à mon cou de ses petites mains blanches. Elle est tombée, m’a regardée d’un air triste, et moi j’ai ri, sauvagement. Puis j’ai lancé mon pied dans l’eau pour brouiller son image, effacer son reflet maudit.
Ce soir là, j’ai dormi dans la chambre bleue, cette chambre que j’aime tellement parce que j’y ai si peur : je dors bien quand j’ai peur. Le lit est haut, à côté il y a une grande armoire à glace dans laquelle je ne regarde jamais par crainte d’y voir une autre personne que moi et qui m’est inconnue. Je ferme bien les rideaux bleus : je suis sûre, en effet, que s’ils ne sont pas fermés correctement, une main va se glisser pour demander de l’aide (ou bien pour m’étrangler.) Et cette nuit-là, elle a gratté à la porte, doucement, timidement. Moi je n’ai pas ouvert. Je me suis bouché les oreilles pour ne pas l’entendre gratter. ..Elle a fini par partir, je crois : en tout cas, moi, j’ai fini par m’endormir, les mains sur les oreilles.
Mais j’ai beau l’écraser, l’humilier, elle revient, elle attend, elle sourit, toute droite et blanche dans ses habits couleur vieux temps.
LE FÉTICHISTE.
Pour trouver l’Absolu, Melchior le magicien avait besoin de faire de multiples expériences qui nécessitaient de longues années de recherche.
Un jour alors qu’il flânait, il trouva une pierre : elle brillait, seule, dans sa nuit sans étoile. Il trébucha vers elle et elle roula vers lui. Alors il l’emporta précieusement sous son manteau troué. Comme elle allait l’aider dans sa recherche ! Comme cette découverte simplifiait les choses !
Jusqu’alors, il avait voulu vivre en ermite et travailler seul, par fierté et par méfiance. Mais cette pierre-là, il le sentait, était différente !
Elle était friable, mais cette fragilité, il saurait l’épargner. ..
Progressant lentement malgré la succession brutale et tumultueuse des saisons, il protégeait sa pierre cachée sous son manteau.
Il avait un espoir : que sa pierre ne pèse jamais trop et ne le gêne pas dans son pèlerinage.
Car Melchior devait marcher sans relâche pour atteindre son but. Quoiqu’il pense. Quoiqu’il se passe…
Un jour alors qu’il flânait, il trouva une pierre : elle brillait, seule, dans sa nuit sans étoile. Il trébucha vers elle et elle roula vers lui. Alors il l’emporta précieusement sous son manteau troué. Comme elle allait l’aider dans sa recherche ! Comme cette découverte simplifiait les choses !
Jusqu’alors, il avait voulu vivre en ermite et travailler seul, par fierté et par méfiance. Mais cette pierre-là, il le sentait, était différente !
Elle était friable, mais cette fragilité, il saurait l’épargner. ..
Progressant lentement malgré la succession brutale et tumultueuse des saisons, il protégeait sa pierre cachée sous son manteau.
Il avait un espoir : que sa pierre ne pèse jamais trop et ne le gêne pas dans son pèlerinage.
Car Melchior devait marcher sans relâche pour atteindre son but. Quoiqu’il pense. Quoiqu’il se passe…
L’IRONIE DU SORT.
Fléchereau se trouvait dans une mer de sable, envahie de méduses argentées et sifflantes. En levant les yeux, il épousa du regard une fleur au tronc immense, noueux et vert. Une horrible fleur verte, qui exhalait un lourd parfum de souffre et de venin.
Il n’éprouvait aucune peur. Il possédait en lui une parfaite connaissance de la route à suivre et il sentait aussi avec certitude qu’il pouvait y arriver. Il considérait qu’il avait toujours été gêné auparavant. Gêné dans sa longue quête, par quelque chose ou par quelqu’un. Pour une fois, il avait réussi à être seul, à se rendre seul. Etait-ce pour cela que l’environnement se faisait glue et sable ? Il était irrésistiblement attiré par la corolle de la fleur : c’est ainsi qu’il se rendit compte que sa couleur changeait : de verte, elle vira à l’orange. L’odeur suave et lourde s’imposa plus fortement encore, il en fut étourdi. Fléchereau dut s’asseoir sur un banc de sable pour reprendre ses esprits. Que cherchait-il ? Il l’avait oublié. Il avait tellement mal à la tête ! Comme si tout le crâne lui tombait sur les yeux. Il n’arrivait pas non plus à réunir sous lui ses membres de coton. Il était convaincu que ce malaise écrasant lui venait de la fleur : ce monstre hideux et envoûtant, cet implacable ennemi qui lui refusait sans raison apparente le droit de se réaliser.
Il ne se sentait pourtant pas le droit d’abandonner. Il avait une mission et il n’était pas question de tout laisser tomber. Car au bout du compte, quel serait le verdict final ? …Sans se douter qu’il faille se vouer à la destruction, il s’obligea à se remettre en route. Mais le sable se fondit et la glue envahit sa bouche et ses oreilles. Une nausée, un étouffement impossible à surmonter le prit à la gorge. Dans un gargouillis sourd, Fléchereau disparut, englouti par le sable…
Seule la fleur, intacte, régnait sur ce monde endormi…
Marion Lubreac
Il n’éprouvait aucune peur. Il possédait en lui une parfaite connaissance de la route à suivre et il sentait aussi avec certitude qu’il pouvait y arriver. Il considérait qu’il avait toujours été gêné auparavant. Gêné dans sa longue quête, par quelque chose ou par quelqu’un. Pour une fois, il avait réussi à être seul, à se rendre seul. Etait-ce pour cela que l’environnement se faisait glue et sable ? Il était irrésistiblement attiré par la corolle de la fleur : c’est ainsi qu’il se rendit compte que sa couleur changeait : de verte, elle vira à l’orange. L’odeur suave et lourde s’imposa plus fortement encore, il en fut étourdi. Fléchereau dut s’asseoir sur un banc de sable pour reprendre ses esprits. Que cherchait-il ? Il l’avait oublié. Il avait tellement mal à la tête ! Comme si tout le crâne lui tombait sur les yeux. Il n’arrivait pas non plus à réunir sous lui ses membres de coton. Il était convaincu que ce malaise écrasant lui venait de la fleur : ce monstre hideux et envoûtant, cet implacable ennemi qui lui refusait sans raison apparente le droit de se réaliser.
Il ne se sentait pourtant pas le droit d’abandonner. Il avait une mission et il n’était pas question de tout laisser tomber. Car au bout du compte, quel serait le verdict final ? …Sans se douter qu’il faille se vouer à la destruction, il s’obligea à se remettre en route. Mais le sable se fondit et la glue envahit sa bouche et ses oreilles. Une nausée, un étouffement impossible à surmonter le prit à la gorge. Dans un gargouillis sourd, Fléchereau disparut, englouti par le sable…
Seule la fleur, intacte, régnait sur ce monde endormi…
Marion Lubreac
L ASCENSION VERS LE SOLEIL.
Assis dans un coin, Bé observe les poussières, attentivement, dans l’obscurité totale. Il est là depuis des heures, il regarde. Et il pourrait rester là encore des heures, presque immobile dans les poussières d’étain.
Godiveau, sans bruit, arrive derrière lui. Il pense qu’il faut faire vite. Il est en retard : la prochaine fois, on lui en fera la remarque ! Il sort la pelle à charbon de sa poche de pantalon, puis il frappe, très fort, sur la grosse nuque bête de Bé, qui s’écroule paisiblement dans la poussière.
- « On balaiera demain. » se dit Godiveau, passablement ennuyé.
Et il s’en va dans le jour qui s’est brusquement levé, les mains dans les poches, en sifflotant…
Godiveau, sans bruit, arrive derrière lui. Il pense qu’il faut faire vite. Il est en retard : la prochaine fois, on lui en fera la remarque ! Il sort la pelle à charbon de sa poche de pantalon, puis il frappe, très fort, sur la grosse nuque bête de Bé, qui s’écroule paisiblement dans la poussière.
- « On balaiera demain. » se dit Godiveau, passablement ennuyé.
Et il s’en va dans le jour qui s’est brusquement levé, les mains dans les poches, en sifflotant…
KREBS (Tel est pris qui croyait prendre.)
Les grandes pantoufles à carreaux sales devant la cheminée, posées là par ennui, aiguisent maintenant leurs dards empoisonnés.
Leur propriétaire, homme de cinquante trois ans, les a laissées pour quinze jours, pour suivre un crabe qui passait hypocritement par-là.
C’est maintenant qu’il va revenir. Alors, les grandes pantoufles à carreaux sales devant la cheminée ont décidé de se faire justice elles-mêmes. Sans doute n’osera-t-on pas les accuser. Le vieux crabe, que tout le monde suit mais qu’on n’a pas encore réussi à attraper et à anéantir sera sûrement accusé à leur place : c’est pourquoi maintenant, elles aiguisent leurs dards empoisonnés. L’alibi est parfait.
Soudain, on entend dans le couloir encombré des pas traînants se rapprocher. Les pantoufles sont sur le qui-vive. Aiguisant, aiguisant toujours, de plus en plus vite et de plus en plus fort., elles s’agitent et sautent de plaisir sur le carrelage, menaçant à deux ou trois reprises de ne pas atterrir à la bonne place. Toujours, les pas se rapprochent. On les entend très nettement maintenant. Dans un dernier soubresaut, atteintes par la frénésie et l'impatience, comme en transes, les pantoufles s'élancent en l'air, et, dans un grand cri, retombent en plein dans l'âtre, au milieu des flammes. L’embrasement les dévore gloutonnement, se léchant et se pourléchant.
Leur propriétaire s’approche alors résolument de l’âtre, jette un regard méprisant aux dards maintenant visibles, brillants de vérité entre les flammes. Calmement, il allume une cigarette et regarde les derniers morceaux de pantoufles disparaître. Curieusement, il se sent fort, invincible et puissant.
Leur propriétaire, homme de cinquante trois ans, les a laissées pour quinze jours, pour suivre un crabe qui passait hypocritement par-là.
C’est maintenant qu’il va revenir. Alors, les grandes pantoufles à carreaux sales devant la cheminée ont décidé de se faire justice elles-mêmes. Sans doute n’osera-t-on pas les accuser. Le vieux crabe, que tout le monde suit mais qu’on n’a pas encore réussi à attraper et à anéantir sera sûrement accusé à leur place : c’est pourquoi maintenant, elles aiguisent leurs dards empoisonnés. L’alibi est parfait.
Soudain, on entend dans le couloir encombré des pas traînants se rapprocher. Les pantoufles sont sur le qui-vive. Aiguisant, aiguisant toujours, de plus en plus vite et de plus en plus fort., elles s’agitent et sautent de plaisir sur le carrelage, menaçant à deux ou trois reprises de ne pas atterrir à la bonne place. Toujours, les pas se rapprochent. On les entend très nettement maintenant. Dans un dernier soubresaut, atteintes par la frénésie et l'impatience, comme en transes, les pantoufles s'élancent en l'air, et, dans un grand cri, retombent en plein dans l'âtre, au milieu des flammes. L’embrasement les dévore gloutonnement, se léchant et se pourléchant.
Leur propriétaire s’approche alors résolument de l’âtre, jette un regard méprisant aux dards maintenant visibles, brillants de vérité entre les flammes. Calmement, il allume une cigarette et regarde les derniers morceaux de pantoufles disparaître. Curieusement, il se sent fort, invincible et puissant.
HYPOCRISIE.
C’est en se relevant une fois encore de sa couche que BROT s’aperçut de la supercherie. Déjà plusieurs fois auparavant, il lui avait semblé à quelques indices imperceptibles que quelque chose avait changé dans l’entourage.
Il n’arrivait pas encore à discerner bien exactement la cause et l’effet de changement, grotesque par ailleurs, mais il était certain que le malaise grandissait en lui. Il essaya à nouveau de se relever : incapable, bloqué. Voilà donc l’effet !
-« Me voilà coincé, et encore ! Qui sait si la farce ne va pas pousser jusqu’à s’amplifier ? »
Soudain, il se rappela qu’il avait des enfants. Il les avait complètement négligés ces dernières années, mais avec un peu d’hypocrisie, on arriverait bien à les berner.
BROT, avec un brusque élan de la colonne vertébrale, se décoinça et se dressa au beau milieu de la pièce vide et très proche du caveau. Il jeta un regard aigu autour de lui, afin de voir si quelque chose bougeait, si quelqu’un se trouvait là, mais non, il était seul. Vexé d’avoir joué sa petite comédie pour rien, il ouvrit la grande armoire crevette, il prit une ceinture longue, effilée et noire, et l’attacha à un gros clou, au plafond. Puis, toujours sous l’emprise d’une grande colère, dans un malaise grandissant, il tira une chaise juste en dessous, fit un nœud coulant et siffla le chien.
Frétillant d’amour et de confiance, la bête arriva en sautillant joyeusement. BROT le prit doucement, lui caressa la tête et l’embrassa. En le serrant fort contre son corps, il grimpa sur la chaise. Puis, très vite, il introduisit la tête de l’animal dans le nœud et le lâcha. Dans des cris et des spasmes, le petit chien mourut, ses bons yeux tournés vers son maître.
BROT, satisfait, rasséréné, se recoucha, à nouveau coincé par la douleur, et remonta les draps bien en dessous du menton, puis s’endormit, heureux et calme.
Il n’arrivait pas encore à discerner bien exactement la cause et l’effet de changement, grotesque par ailleurs, mais il était certain que le malaise grandissait en lui. Il essaya à nouveau de se relever : incapable, bloqué. Voilà donc l’effet !
-« Me voilà coincé, et encore ! Qui sait si la farce ne va pas pousser jusqu’à s’amplifier ? »
Soudain, il se rappela qu’il avait des enfants. Il les avait complètement négligés ces dernières années, mais avec un peu d’hypocrisie, on arriverait bien à les berner.
BROT, avec un brusque élan de la colonne vertébrale, se décoinça et se dressa au beau milieu de la pièce vide et très proche du caveau. Il jeta un regard aigu autour de lui, afin de voir si quelque chose bougeait, si quelqu’un se trouvait là, mais non, il était seul. Vexé d’avoir joué sa petite comédie pour rien, il ouvrit la grande armoire crevette, il prit une ceinture longue, effilée et noire, et l’attacha à un gros clou, au plafond. Puis, toujours sous l’emprise d’une grande colère, dans un malaise grandissant, il tira une chaise juste en dessous, fit un nœud coulant et siffla le chien.
Frétillant d’amour et de confiance, la bête arriva en sautillant joyeusement. BROT le prit doucement, lui caressa la tête et l’embrassa. En le serrant fort contre son corps, il grimpa sur la chaise. Puis, très vite, il introduisit la tête de l’animal dans le nœud et le lâcha. Dans des cris et des spasmes, le petit chien mourut, ses bons yeux tournés vers son maître.
BROT, satisfait, rasséréné, se recoucha, à nouveau coincé par la douleur, et remonta les draps bien en dessous du menton, puis s’endormit, heureux et calme.
HURA CREPITANS.
Sous l’explosion gigantesque mais stérile du sablier élastique, Nidorut tremble au bruit énorme des coques qui se brisent par le milieu de leur valve, terrorisé à l’idée d’être atteint par leurs grains. Pourtant, il sait qu’il n’échappera pas à la puissance implacable du maître des lieux. Le sablier élastique aux pouvoirs magiques est là, solidement planté au milieu d’un champ de sable gris.
Nidorut se replie sur lui-même sous cet orage de billes. Soudain, le calme le plus impressionnant terrasse la tornade et Nidorut, intrigué, sort de sa cachette. Le sablier élastique règne toujours, imposant et calme, au milieu du terrain sablonneux.
Quatre gnomes, sortis de terre, surgissent brusquement devant lui en clignant de l’œil :
« _ Voudrais-tu nous suivre ? Déclare le plus vieux, tu as été désigné par notre maître. Tu dois nous suivre. Car notre maître à beaucoup à te dire.
Sentant très exactement que ces deux-là n’ont pas l’intention de rire, Nidorut se laisse guider, les yeux bandés, par les lutins sacrés.
Lorsqu’on lui libère les yeux, il se trouve dans une longue caverne humide, peuplée d’autres gnomes ; cerclée d’un vaste boyau où pestent des serpents bileux, elle rayonne cependant, comme baignée d’une sourde lumière venue de nulle part.
Au centre se trouve un long personnage noir. Sa taille dépasse de loin celle des autres. On ne voit que ses deux yeux luisants et rouges dans tout ce noir, et deux grands bras maigres qui, parfois, s’agitent. L’un des grands bras se lève et fait signe à Nidorut de s’avancer. Nidorut, impressionné tant soit peu par la solennité de la cérémonie, s’avance dans la galerie, ne sachant trop comment se comporter. Alors, le grand personnage noir commence d’une voix profonde :
- C’est toi que j’ai choisi afin d’indiquer la voie à ceux que tu rencontreras. Je ne te donne aucun pouvoir. Mais tu dois obéir. Tu es le messager.
Nidorut est frappé par le manque de tact de cet individu en apparence sans scrupule : comment ? Il s’imagine sans doute qu’il va se laisser manipuler sans broncher ? Soudain il éclate :
- Je ne sais pas sur quelles données vous vous êtes appuyé, mais je peux vous affirmer que votre calcul est stupide et faux. Je ne ferai rien du tout de ce que vous sous-entendez et je m’en vais.
A ces mots, les quatre gnomes lui sautent dessus : l’un lui tire les yeux hors de la tête, un autre lui brise le torse d’un coup de hache, un troisième, lui ayant scié les pieds, le met hors d’état de nuire et le dernier lui saute sur les épaules et lui tape sur le crâne de toute la force de ses petits poings.
- C’est bon ! cria Nidorut. Je capitule ! Je transmettrai le message, s’il le faut, et je chercherai à communiquer.
- Très bien, alors, déclara le grand personnage noir, Tu peux aller. Je n’ai jamais douté de ta bonne volonté, et j’ai de toute façon toujours eu l’habitude d’être obéi.
Dans un grand cri de trompette, la porte de pierre s’ouvrit et Nidorut fut projeté sur le sable.
Dans les branches du sablier élastique, une aire de glace. Et au centre, l’aigle de pierre et de fer, impassible règne, dominateur.
Nidorut se replie sur lui-même sous cet orage de billes. Soudain, le calme le plus impressionnant terrasse la tornade et Nidorut, intrigué, sort de sa cachette. Le sablier élastique règne toujours, imposant et calme, au milieu du terrain sablonneux.
Quatre gnomes, sortis de terre, surgissent brusquement devant lui en clignant de l’œil :
« _ Voudrais-tu nous suivre ? Déclare le plus vieux, tu as été désigné par notre maître. Tu dois nous suivre. Car notre maître à beaucoup à te dire.
Sentant très exactement que ces deux-là n’ont pas l’intention de rire, Nidorut se laisse guider, les yeux bandés, par les lutins sacrés.
Lorsqu’on lui libère les yeux, il se trouve dans une longue caverne humide, peuplée d’autres gnomes ; cerclée d’un vaste boyau où pestent des serpents bileux, elle rayonne cependant, comme baignée d’une sourde lumière venue de nulle part.
Au centre se trouve un long personnage noir. Sa taille dépasse de loin celle des autres. On ne voit que ses deux yeux luisants et rouges dans tout ce noir, et deux grands bras maigres qui, parfois, s’agitent. L’un des grands bras se lève et fait signe à Nidorut de s’avancer. Nidorut, impressionné tant soit peu par la solennité de la cérémonie, s’avance dans la galerie, ne sachant trop comment se comporter. Alors, le grand personnage noir commence d’une voix profonde :
- C’est toi que j’ai choisi afin d’indiquer la voie à ceux que tu rencontreras. Je ne te donne aucun pouvoir. Mais tu dois obéir. Tu es le messager.
Nidorut est frappé par le manque de tact de cet individu en apparence sans scrupule : comment ? Il s’imagine sans doute qu’il va se laisser manipuler sans broncher ? Soudain il éclate :
- Je ne sais pas sur quelles données vous vous êtes appuyé, mais je peux vous affirmer que votre calcul est stupide et faux. Je ne ferai rien du tout de ce que vous sous-entendez et je m’en vais.
A ces mots, les quatre gnomes lui sautent dessus : l’un lui tire les yeux hors de la tête, un autre lui brise le torse d’un coup de hache, un troisième, lui ayant scié les pieds, le met hors d’état de nuire et le dernier lui saute sur les épaules et lui tape sur le crâne de toute la force de ses petits poings.
- C’est bon ! cria Nidorut. Je capitule ! Je transmettrai le message, s’il le faut, et je chercherai à communiquer.
- Très bien, alors, déclara le grand personnage noir, Tu peux aller. Je n’ai jamais douté de ta bonne volonté, et j’ai de toute façon toujours eu l’habitude d’être obéi.
Dans un grand cri de trompette, la porte de pierre s’ouvrit et Nidorut fut projeté sur le sable.
Dans les branches du sablier élastique, une aire de glace. Et au centre, l’aigle de pierre et de fer, impassible règne, dominateur.
GREDINERIES
Assise au bord du roc, là-haut, près de la lande, je regarde le vide et j’attends. La nuit douce et son ami le vent arrivent en chantant à tue-tête, faisant fuir le silence.
A mes pieds, la mer s’est évaporée. Il est si tard ! L’heure de se coucher… Je reste seule, j’attends le vide, je regarde, j’écoute, j’attends.
La nuit et le vent sont assis près d’un pont presque mort d’ennui et de vieillesse. Il soupire bruyamment quand le vent rit à la nuit. Ils tirent un jeu bête d’un tiroir dans la terre et se mettent à jouer. La nuit reste timide et silencieuse à l’écoute du vent, qui dit n’importe quoi. Puis le vide vient enfin : je me jette dans ses bras et le serre. Mais comme toujours, je dois partir après l’essai d’étreinte.
(Ca ne marche jamais. C’est une ombre que j’aime, c’est un rêve que j’attends et qui me file entre les bras) Et le vide s’en va, très vite aspiré par la lumière, son visage angoissé et baigné de larmes tourné vers moi, les bras tendus au hasard.
Mais demain, ou bientôt, je te retrouverai, l’impalpable se palpera.
Mais sans doute, après, la vie nous séparera-t-elle.
Elle nous laissera là, blessés, avec nos souvenirs…
A mes pieds, la mer s’est évaporée. Il est si tard ! L’heure de se coucher… Je reste seule, j’attends le vide, je regarde, j’écoute, j’attends.
La nuit et le vent sont assis près d’un pont presque mort d’ennui et de vieillesse. Il soupire bruyamment quand le vent rit à la nuit. Ils tirent un jeu bête d’un tiroir dans la terre et se mettent à jouer. La nuit reste timide et silencieuse à l’écoute du vent, qui dit n’importe quoi. Puis le vide vient enfin : je me jette dans ses bras et le serre. Mais comme toujours, je dois partir après l’essai d’étreinte.
(Ca ne marche jamais. C’est une ombre que j’aime, c’est un rêve que j’attends et qui me file entre les bras) Et le vide s’en va, très vite aspiré par la lumière, son visage angoissé et baigné de larmes tourné vers moi, les bras tendus au hasard.
Mais demain, ou bientôt, je te retrouverai, l’impalpable se palpera.
Mais sans doute, après, la vie nous séparera-t-elle.
Elle nous laissera là, blessés, avec nos souvenirs…
GRAND NETTOYAGE DE PRINTEMPS
Lentement suffoqué par les poussières de soufre, Tilleul s’enfonce dans la crasse puante et noire de sa triste existence. Le temps des illusions étant passé, il n’a plus qu’à se résigner. La crasse noire et mouvante lui fait un doux nid ouaté. Il s’allonge, de tout son long. Il s’endort…Mais il est brusquement réveillé par une femme de ménage qui passe avec son balai au travers de la pièce encombrée : balayant furieusement autour d’elle et renversant beaucoup d’objets qui traînent un peu partout, elle heurte Tilleul assez rudement et le réveille en sursaut.
-« Place à l’espace, place au vide ! » Clame-t-elle, manifestement très énervée.
Soudain, remarquant la présence de Tilleul sur le parquet, (elle ne
l’ avait jusqu’alors pas remarqué à cause de son état de surexcitation) elle se met à l’injurier dans toutes les langues connues et sur tous les tons, en ponctuant ses vociférations de coups de balai bien pesés dans le foie. Très effrayé par la violence et l’hostilité de sa femme de ménage, il se réfugie à toute vitesse sous le lit et n’ose pas bouger.
- « AH ! C’est ainsi que vous comptez régler le problème, ignorante vipère ! » elle sort de son sac quatre planches immenses, seize clous, un gros marteau
Comment tout cela a-t-il bien pu tenir dans un sac de dame ? Se demande Tilleul qui observe la scène, ramassé en boule sous le lit.
Deux gros pieds s’approchent de sa cachette, deux grosses mains les rejoignent et se mettent à l’emmurer, clouant très vite et très fort pour empêcher la bête de penser et de se révolter.
…Son agonie sera longue. On ne découvrira jamais le corps, malgré l’odeur forte de la décomposition, habilement masquée par le désodorisant muguet de la femme de ménage, chaque matin vaporisé.
Puis la pourriture s’étalera, les vers envahiront toute la pièce, dominant la crasse. Même les rats partiront. L’exécrable odeur restera et une fumée noire planera comme un fil au-dessus du lit envahi par la pourriture.
-« Place à l’espace, place au vide ! » Clame-t-elle, manifestement très énervée.
Soudain, remarquant la présence de Tilleul sur le parquet, (elle ne
l’ avait jusqu’alors pas remarqué à cause de son état de surexcitation) elle se met à l’injurier dans toutes les langues connues et sur tous les tons, en ponctuant ses vociférations de coups de balai bien pesés dans le foie. Très effrayé par la violence et l’hostilité de sa femme de ménage, il se réfugie à toute vitesse sous le lit et n’ose pas bouger.
- « AH ! C’est ainsi que vous comptez régler le problème, ignorante vipère ! » elle sort de son sac quatre planches immenses, seize clous, un gros marteau
Comment tout cela a-t-il bien pu tenir dans un sac de dame ? Se demande Tilleul qui observe la scène, ramassé en boule sous le lit.
Deux gros pieds s’approchent de sa cachette, deux grosses mains les rejoignent et se mettent à l’emmurer, clouant très vite et très fort pour empêcher la bête de penser et de se révolter.
…Son agonie sera longue. On ne découvrira jamais le corps, malgré l’odeur forte de la décomposition, habilement masquée par le désodorisant muguet de la femme de ménage, chaque matin vaporisé.
Puis la pourriture s’étalera, les vers envahiront toute la pièce, dominant la crasse. Même les rats partiront. L’exécrable odeur restera et une fumée noire planera comme un fil au-dessus du lit envahi par la pourriture.
FURIE
La boue est dans sa tête.
La boue est dans son ventre.
Il ne respire plus et il a mal.
Doucement, la terreur l’envahit et chasse la douleur
En s’imposant, plus forte.
Ses yeux sont embués de larmes acides
Et de sang
Et ses oreilles bourdonnent sourdement.
Le bleu envahit son monde
Et noie son existence.
La boue lui fait un doux camouflage ouaté et calfeutré.
Lentement dans sa tête, il s’enfonce.
Lentement la désagrégation a commencé.
La douleur lancinante le reprend par moments.
Mieux vaut la mort sans doute,
Mieux vaut la mort,
Plutôt que cette angoisse du bas ventre
Qui s’est lovée en boule et qui ne décoince pas ! …
Mieux vaut la mort,
La mort.
Etre bien tranquille, se reposer, cesser de lutter et de souffrir.
Il regarde au-dessus de sa tête :
La- haut, le gris, le triste, plus d’espoir.
Il l’avait toujours su.
S’il avait fait beau, ça l’aurait certainement empêché de souffrir.
Mais par un temps pareil !
Comment les gens pouvaient-ils affirmer que parler du temps, c’était forcément dire des banalités ?
Hum ! Il faut sentir pour croire. Si je te disais, tu dirais que j’affabule…
Comme il était seul mon Dieu ! Il croyait bien qu’il avait toujours écouté les autres pour s’oublier.
Mais maintenant, maintenant qu’il aurait besoin de quelqu’un, il est tout seul.
Tout seul. Voilà le verdict imputé au comédien.
Tout seul face à son plus terrible ennemi : Lui-même.
Ou plutôt l’autre.
Mais ça ne durera pas. Non. Ca ne durera pas.
Même pas pour les autres.
Un jour, il arrêtera le temps
Un jour, la souffrance, il l’aura !
La boue est dans son ventre.
Il ne respire plus et il a mal.
Doucement, la terreur l’envahit et chasse la douleur
En s’imposant, plus forte.
Ses yeux sont embués de larmes acides
Et de sang
Et ses oreilles bourdonnent sourdement.
Le bleu envahit son monde
Et noie son existence.
La boue lui fait un doux camouflage ouaté et calfeutré.
Lentement dans sa tête, il s’enfonce.
Lentement la désagrégation a commencé.
La douleur lancinante le reprend par moments.
Mieux vaut la mort sans doute,
Mieux vaut la mort,
Plutôt que cette angoisse du bas ventre
Qui s’est lovée en boule et qui ne décoince pas ! …
Mieux vaut la mort,
La mort.
Etre bien tranquille, se reposer, cesser de lutter et de souffrir.
Il regarde au-dessus de sa tête :
La- haut, le gris, le triste, plus d’espoir.
Il l’avait toujours su.
S’il avait fait beau, ça l’aurait certainement empêché de souffrir.
Mais par un temps pareil !
Comment les gens pouvaient-ils affirmer que parler du temps, c’était forcément dire des banalités ?
Hum ! Il faut sentir pour croire. Si je te disais, tu dirais que j’affabule…
Comme il était seul mon Dieu ! Il croyait bien qu’il avait toujours écouté les autres pour s’oublier.
Mais maintenant, maintenant qu’il aurait besoin de quelqu’un, il est tout seul.
Tout seul. Voilà le verdict imputé au comédien.
Tout seul face à son plus terrible ennemi : Lui-même.
Ou plutôt l’autre.
Mais ça ne durera pas. Non. Ca ne durera pas.
Même pas pour les autres.
Un jour, il arrêtera le temps
Un jour, la souffrance, il l’aura !
FENIA FEBOR.
La lumière avait déjà faibli depuis quelques heures lorsque Fénia Fébor s’en aperçut. Il était resté bien après le départ de son ami, dans la même position, assis dans un fauteuil bas, un verre de gin à la main, le regard fixe. En voyant que la nuit tombait et que les objets qui l’entouraient étaient noyés d’une semi – obscurité, il se leva avec difficulté, prit son chapeau et sortit.
Déjà les rues étaient éclairées. Il avança dans une des rares rues de la ville qui avait conservé cet air d’autrefois et où les aiguilles du temps semblaient s’être définitivement arrêtées. Son attention fut attirée par un petit crissement d’animal, venant d’un coin sombre de la rue, d’un renfoncement près d’une porte : sans doute l’emplacement des poubelles. Il s’approcha doucement pour ne pas effrayer l’animal. En se penchant un peu, il distingua vaguement un rat, le corps à moitié engagé dans un trou, d’où il tentait d’extraire quelque chose de résistant ; mais au cours de cette opération, il semblait s’être coincé et éprouvait maintenant beaucoup de difficulté à se dégager. D’autant plus qu’il ne voulait à aucun prix lâcher l’objet qui lui avait fait fournir tant d’efforts et occasionné tant de déboires ! La première réaction de Fénia Fébor fut un mouvement de répulsion : il pensa s’éloigner ou plutôt tuer le rat. Les rats lui avaient toujours fait peur, car il leur reconnaissait une grande intelligence qui l’impressionnait. Mais il se ravisa et conclut qu’il valait mieux aider l’animal qui, en somme, ne lui avait rien fait. Il se baissa donc tout à fait et tira doucement le rat vers lui sans lui faire de mal. Le rat apparut tout entier, tirant sa proie. En voyant quelle était cette proie, Fénia Fébor fut horrifié : c’était un œil, un œil humain, et qui semblait vivant. Le rat se retourna sur lui sauvagement et le mordit. Fénia Fébor n’eut pas le temps de réagir, tout absorbé qu’il était dans la contemplation de l’œil. Le rat le fixait maintenant d’un regard mauvais, haineux, chargé de mépris et de courroux. L’œil humain le regardait de même : il semblait y avoir une complicité terrible entre le rat et l’œil. Fénia Fébor, effrayé à l’extrême, regarda sa main meurtrie qui lui cuisait. Elle était rouge et enflée autour le la morsure violacée. Le rat et l’œil le regardaient toujours méchamment. Pendant une longue minute encore, leurs regards s’affrontèrent.
Soudain vaincu, Fénia Fébor porta l’autre main à la tempe, et, rejetant la tête en arrière, se mit à courir en direction de la rivière. Arrivé là, il enjamba fiévreusement le parapet et c’est avec plus de hâte encore qu’il plongea dans l’eau boueuse.
Le rat et l’œil, calmement, reprirent leur jeu étrange…
Déjà les rues étaient éclairées. Il avança dans une des rares rues de la ville qui avait conservé cet air d’autrefois et où les aiguilles du temps semblaient s’être définitivement arrêtées. Son attention fut attirée par un petit crissement d’animal, venant d’un coin sombre de la rue, d’un renfoncement près d’une porte : sans doute l’emplacement des poubelles. Il s’approcha doucement pour ne pas effrayer l’animal. En se penchant un peu, il distingua vaguement un rat, le corps à moitié engagé dans un trou, d’où il tentait d’extraire quelque chose de résistant ; mais au cours de cette opération, il semblait s’être coincé et éprouvait maintenant beaucoup de difficulté à se dégager. D’autant plus qu’il ne voulait à aucun prix lâcher l’objet qui lui avait fait fournir tant d’efforts et occasionné tant de déboires ! La première réaction de Fénia Fébor fut un mouvement de répulsion : il pensa s’éloigner ou plutôt tuer le rat. Les rats lui avaient toujours fait peur, car il leur reconnaissait une grande intelligence qui l’impressionnait. Mais il se ravisa et conclut qu’il valait mieux aider l’animal qui, en somme, ne lui avait rien fait. Il se baissa donc tout à fait et tira doucement le rat vers lui sans lui faire de mal. Le rat apparut tout entier, tirant sa proie. En voyant quelle était cette proie, Fénia Fébor fut horrifié : c’était un œil, un œil humain, et qui semblait vivant. Le rat se retourna sur lui sauvagement et le mordit. Fénia Fébor n’eut pas le temps de réagir, tout absorbé qu’il était dans la contemplation de l’œil. Le rat le fixait maintenant d’un regard mauvais, haineux, chargé de mépris et de courroux. L’œil humain le regardait de même : il semblait y avoir une complicité terrible entre le rat et l’œil. Fénia Fébor, effrayé à l’extrême, regarda sa main meurtrie qui lui cuisait. Elle était rouge et enflée autour le la morsure violacée. Le rat et l’œil le regardaient toujours méchamment. Pendant une longue minute encore, leurs regards s’affrontèrent.
Soudain vaincu, Fénia Fébor porta l’autre main à la tempe, et, rejetant la tête en arrière, se mit à courir en direction de la rivière. Arrivé là, il enjamba fiévreusement le parapet et c’est avec plus de hâte encore qu’il plongea dans l’eau boueuse.
Le rat et l’œil, calmement, reprirent leur jeu étrange…
EXPIATION.
Les murs respirent
Le sol se gonfle, puis se dégonfle.
La table devient ultrasensible et souffre au toucher.
Le soleil accablant écrase et réduit l’espace.
L’air, chassé de l’atmosphère, le laisse essoufflé et moite.
De petites gouttes de sueur perlent sur son front, ses joues, sa barbe.
Pourtant, il se doit d’avancer,
Avancer pour ne plus reculer.
Mais la structure capricieuse du sol mouvant l’empêche de progresser.
Sans cesse il trébuche, il se blesse aux épines et aux ronces
Nées du bitume fondu et gluant qui essaie de l’absorber.
Ses pieds saignent et de petites gouttes de sang témoignent de sa douleur,
Comme des groseilles écrasées.
Soudain la mer : il aperçoit la mer.
Avec un ultime effort, il s’y jette,
Dans l’abandon de son corps, pour y trouver le réconfort.
Mais la mer trompe sa confiance.
Elle se fait brûlante et gluante,
Puis l’avale en la broyant à grand bruit.
Le sol se gonfle, puis se dégonfle.
La table devient ultrasensible et souffre au toucher.
Le soleil accablant écrase et réduit l’espace.
L’air, chassé de l’atmosphère, le laisse essoufflé et moite.
De petites gouttes de sueur perlent sur son front, ses joues, sa barbe.
Pourtant, il se doit d’avancer,
Avancer pour ne plus reculer.
Mais la structure capricieuse du sol mouvant l’empêche de progresser.
Sans cesse il trébuche, il se blesse aux épines et aux ronces
Nées du bitume fondu et gluant qui essaie de l’absorber.
Ses pieds saignent et de petites gouttes de sang témoignent de sa douleur,
Comme des groseilles écrasées.
Soudain la mer : il aperçoit la mer.
Avec un ultime effort, il s’y jette,
Dans l’abandon de son corps, pour y trouver le réconfort.
Mais la mer trompe sa confiance.
Elle se fait brûlante et gluante,
Puis l’avale en la broyant à grand bruit.
ÉCHEC DE L’HEREDITE.
La petite fille aux yeux noirs était assise dans le plus sombre coin du vestibule. Elle semblait attendre le passage de quelqu’un. C’était la fille du Diable, et celui qu’elle attendait était le fils de Mars.
Il avait eu la bêtise de se fier à elle, et de lui confier son être. Elle avait écouté, avec un air de Sainte Nitouche, voilant ses yeux cruels d’un rideau d’ombre, de menthe et de tilleul. Il avait parlé longtemps. Il avait une fois encore, comme tous ceux qui s’adressaient à elle, essayé de la détruire et de briser son âme afin d’y installer la sienne.
Tous ceux- là sont nuisibles. Elle avait failli être bonne. Mais elle avait mal supporté le contact froid et humide de la volonté brutale des autres. Elle comprit qu’il arriverait bientôt. Elle sentait cela très bien. Elle traça rapidement sur le sol un triangle rouge, dans lequel elle enferma ses symboles maléfiques, tout en laissant une pointe effacée, porte ouverte à l’agression : les pas du fils de Mars se firent plus proches. Elle allait être soulagée, pensa-t-elle avec joie ! …Elle se recula dans l’ombre et, au moment où son ennemi s’avançait vers elle en souriant, alors qu’il posait le pied gauche au beau milieu de triangle, elle leva le bras gauche vers le ciel menaçant avec un air de défi : les symboles maléfiques sautèrent d’un bond puissant à la jambe du monstre et leurs mille petites dents lui firent mille petites plaies douloureuses, ruisselantes de l’acide aigu qui faisait leur puissance. En un clin d’œil, le fils de Mars fut broyé, avalé, déchiqueté, et ne fut plus que cendre et que sable.
La petite fille de Satan, déçue de ne pas être soulagée pour autant, se rassit. Elle attendrait les autres, obstinément. Son courroux était terrible, sa honte insupportable ; elle devait réussir si elle voulait gagner !
Marion LUBREAC
La petite fille aux yeux noirs était assise dans le plus sombre coin du vestibule. Elle semblait attendre le passage de quelqu’un. C’était la fille du Diable, et celui qu’elle attendait était le fils de Mars.
Il avait eu la bêtise de se fier à elle, et de lui confier son être. Elle avait écouté, avec un air de Sainte Nitouche, voilant ses yeux cruels d’un rideau d’ombre, de menthe et de tilleul. Il avait parlé longtemps. Il avait une fois encore, comme tous ceux qui s’adressaient à elle, essayé de la détruire et de briser son âme afin d’y installer la sienne.
Tous ceux- là sont nuisibles. Elle avait failli être bonne. Mais elle avait mal supporté le contact froid et humide de la volonté brutale des autres. Elle comprit qu’il arriverait bientôt. Elle sentait cela très bien. Elle traça rapidement sur le sol un triangle rouge, dans lequel elle enferma ses symboles maléfiques, tout en laissant une pointe effacée, porte ouverte à l’agression : les pas du fils de Mars se firent plus proches. Elle allait être soulagée, pensa-t-elle avec joie ! …Elle se recula dans l’ombre et, au moment où son ennemi s’avançait vers elle en souriant, alors qu’il posait le pied gauche au beau milieu de triangle, elle leva le bras gauche vers le ciel menaçant avec un air de défi : les symboles maléfiques sautèrent d’un bond puissant à la jambe du monstre et leurs mille petites dents lui firent mille petites plaies douloureuses, ruisselantes de l’acide aigu qui faisait leur puissance. En un clin d’œil, le fils de Mars fut broyé, avalé, déchiqueté, et ne fut plus que cendre et que sable.
La petite fille de Satan, déçue de ne pas être soulagée pour autant, se rassit. Elle attendrait les autres, obstinément. Son courroux était terrible, sa honte insupportable ; elle devait réussir si elle voulait gagner !
Marion LUBREAC
DÉSÉQUILIBRE.
Sous le soleil écrasant, dominant la pluie battante, l’homme noir à la cape et au nez rouge presse le pas, un paquet ficelé sous le bras. Il se répète, comme pour lui-même :
-« Je détiens le pouvoir de Vérité et je possède l’Eternité ! »
Fier de lui-même et de son acte, l’homme noir à la cape se redresse, il marche plus aisément, son lourd paquet sous le bras.
Mais tout à coup, à l’angle aigu d’un chemin, il rencontre une petite fille, poussant un grand cerceau devant elle. Elle se met à rire en le voyant, et à tourner très vite autour de lui, tout en poussant encore plus vite son cerceau. Elle saute, elle saute, et chante très fort, et la pluie cesse de tomber, et la chaleur se fait accablante…Si accablante que l’homme au nez rouge s’arrête de marcher, étourdi, les oreilles bourdonnantes, avec la pénible impression de vivre dans du coton. De plus, il ressent une vive colère : comment ! Cette petite fille inconnue rit de lui ? D’ordinaire, il fait peur aux enfants. Et puis, ma parole, elle ne sait pas à qui elle à affaire !
Soudain, il se baisse au niveau de l’enfant, la fixe de son regard le plus mauvais et lui crie bien fort dans les oreilles :
-« Je détiens le pouvoir de Vérité et je possède l’Eternité ! »
-« Et alors ? Dit la fille en se plantant devant lui, et en le fixant très fort elle aussi. Tu sembles bien sûr de toi !
Et brusquement elle tire sur le lourd paquet ficelé et disparaît, sans que l’agressé ait eu le temps de réagir. Il n’entend plus qu’une voix ironique qui scande :
-« Tu n’as plus qu’à chercher, à chercher, chercher ! »
Désappointé, blessé dans son orgueil et dans sa certitude, il sortit de la page, sous le regard sceptique d'un petit vieux barbu, assis sur le bord de la route.
DE RETOUR EN SOI …
Confusion de sentiments,
Mélanges chavirants
Ivresses…
Je te sens en mon âme
Résonner, respirer, palpiter
Tu m’emplis et me hantes
En double de moi-même
J’ai le cœur dans la gorge
La tête qui chavire
Tu m’as réincarnée, habitée, submergée
Ronde et pleine de toi, je vibre et je m’évade
Je voudrais m’envoler
Rejoindre le Néant
Epouser l’Infini
Car il n’est que trop temps !
CULPABILISATION.
Si tu avais connu cette époque de sang
Tu aurais compris pourquoi je t’ai écrit
Ce songe de l’amertume et du bonheur.
Si tu avais parcouru la steppe
Tu aurais tué le loup argenté de la toundra bleue
Si tu avais regardé les yeux du sorcier
Sans doute aurais-tu trouvé la clé.
Mais tu as laissé la lumière allumée
Tu as oublié de faire peser sur toi les draps
Tu n’as pas clos les fenêtres
Et tout s’est envolé, ignorante !
Marion Lubreac
CULPABILISATION FERRUGINEUSE.
Seul, debout face à l’œil de fer forgé de l’au-delà, que pourrait bien faire le Boldorak en pierre ?
De toutes les galaxies, celle-ci est particulièrement surprenante, parce que l’air qu’on y respire perce la peau et les pores, et parce qu’il relie les deux yeux au creux de l’estomac en passant par le nez.
Délire? Non. Mais le Boldorak en pierre ne peut rien mettre en œuvre face à cet œil analytique…
Généralement, quand on est à ce point impuissant, on tente de contourner l’obstacle .On passe par derrière, par exemple. Mais justement ce n’est pas possible. L’œil de fer forgé de l’au-delà qui scrute est scellé dans un mur de métal bleu, sec, froid, marmoréen, tellement incontournable qu’il serait idiot d’essayer de l’approcher de plus de trois mètres. D’autant plus qu’au sol se trouve enchâssé un œil de verre psychédélique, translucide comme le diamant.
Finalement, le Boldorak en pierre s’assied en tailleur sur l’œil de verre qui songe. Menacé d’un coup de pied mortel, il se garde bien de protester…
Assis sur la pupille pâle, le Boldorak en pierre a aveuglé l’œil de verre, anéanti par tant de puissance. Et pourtant, quoiqu’ils en pensent tous les deux, ça ne change rien au problème. L’œil de fer forgé scrute toujours le Boldorak en pierre
« -Piètre victoire sur un œil de verre ! Hurle l’œil, je vais t’anéantir, t’avaler, te vomir ! »
Dans un bruissement de cristal clair, désespéré de disparaître, l’œil de verre éclate. C’est alors que le Boldorak en pierre est englouti par la terre et le verre au pied de l’œil en fer forgé qui ne baisse même pas le regard.
Marion Lubreac
CHUTE.
Sous le soleil noir qui crie à la pleine lune d’éteindre la lumière
Sous cette chaleur âpre qui enflamme les ténèbres de sang
Godeauvi, pressé, court sur la chaussée, un paquet blanc sous le bras droit.
La chaussée brûlante lui pèle les semelles et colle au caoutchouc qui se met à fondre. Godeauvi, agacé et inquiet, marche plus vite, plus vite, sans regarder la chaussée, qui rit.
Soudain, dans une larme et un ricanement double, Godeauvi est aspiré, par la chaussée gluante qui coule.
Seul , le paquet blanc, intact et si blanc est là, gisant sur le chemin refroidi et calme.
Le soleil noir s’en va, furieux, et la pleine lune le suit.
Marion Lubreac
CERTITUDE
Cela faisait cent ans qu’il longeait les murailles et il en avait assez. Tous ces murs qui se succédaient et entouraient le grand château noir le démoralisaient. Il désirait si sincèrement y entrer ! Mais jamais encore il n’avait pu déceler la moindre ouverture par laquelle pénétrer l’enceinte.
Il ne voulait bien sûr aucun mal à l’habitant, si toutefois il y en avait un. C’était d’ailleurs la première chose qu’il aurait été bon de savoir avant toute pénétration. Son désir n’était pas de violer l’endroit, Il voulait juste percer son immuable secret. C’était trop demander sans doute.
Il pensait avoir tout essayé auprès des gardiens successifs du mystérieux château. Toutes ses prières, ses supplications, ses menaces n’y avaient rien fait. Il avait fait preuve d’humilité, aucun résultat. Alors il était passé à l’intimidation et à l’humiliation des gardiens du sanctuaire. Même en simulant la domination, il n’avait rien ébranlé. Il n’avait obtenu aucun résultat, aucune réponse à son questionnement. Seul un profond silence succédait à ses plaintes et il se sentait niais et ridicule. Comment réussir ? Comment au moins attirer la compassion ? Quel était donc cet être qui régulait tout et décidait de tout ? Il devait être fort, très fort. Au bout de ses lassitudes, il se mit à ressentir une sorte de peur mêlée d’un doute affreux. Il se sentait fatigué. Fatigué de tourner. Avait- il seulement la notion du cercle ? Il se laissa tomber sur le sol poudreux. Le regard fixe, il laissa vagabonder son esprit. Une partie de
Son être ne pouvait se résigner à s’arrêter d’avancer.
C’est ainsi que sans le vouloir et sans chercher, il découvrit un petit trou dans la muraille. Un trou juste assez grand pour le passage d’un rat. Une bouffée de courage l’envahit. Il se mit frénétiquement à creuser pour agrandir l’orifice. Il creusa la terre, puissamment, avec ses ongles et ses dents, puis écarta les pierres, qui se laissaient écarter avec une surprenante facilité.
Apr7s plus de trois heures d’efforts continus, il parvint à ses fins. Un passage suffisamment large s’ouvrait dans la muraille grise. Quand il eut méticuleusement brossé les genoux de son pantalon, il se baissa complètement et s’engagea à mi-corps dans l’orifice : mais à peine s’était-il introduit sournoisement qu’il senti l’impossibilité d’aller plus loin. Quelque chose comme une force invisible et irrésistible lui barrait la route. Résigné puisqu’il n’y avait pas moyen de faire autrement, il tenta de rebrousser chemin. Même impossibilité cependant ! Il se trouvait emprisonné, comme dans un linceul de terre. L’atmosphère y était si étouffante qu’il ne put y tenir et s’évanouit…
Lorsqu’il s’éveilla, il se trouvait à l’extérieur. Tout était à recommencer. Un instant, il eut envie de tout abandonner. Il se sentait si vieux ! Si fatigué !
Mais son horrible souffrance le reprit. Il devait l’apaiser. Le mal n’est pas d’hier ! Le mal n’est pas vaincu !
Obligé d’obéir au verdict implacable d’en haut, il continua à chercher sans relâche. Car pour toi, pèlerin, point de mort, ni de repos, si l’Absolu n’est pas atteint. Marion Lubreac
ASCENSION POUR LA SÉRÉNITÉ
Rachel était dans la salle de bain depuis une demi-heure. Elle se préparait avant de partir à l’école quand elle décida tout à coup d’aller retrouver sa mère à la cuisine. Elle ouvrit la porte sans bruit en souriant, mais son sourire se figea quand elle se rendit compte de ce qui se passait :
Elle pouvait voir sa mère très absorbée par la préparation du petit déjeuner. Elle était si occupée qu’elle n’entendit même pas Rachel approcher. C’est alors qu’elle la vit verser le contenu d’un petit flacon dans le bol qu’elle lui destinait avec calme et sang froid.
Hors d’elle, Rachel lui porta un coup violent à l’épaule ce qui la força à se retourner. Sa mère lui en voulait ! Elle cherchait à la détruire ! Il y avait donc toujours entre elle une sorte de rivalité ! Et dire qu’en fille aimante, elle ne s’était doutée de rien. Alors qu’elle se mettait à l’invectiver, elle vit par le carreau un horrible visage aux yeux cruels et noirs la fixer. Elle comprit alors que l’étrange chanson qu’elle avait cru entendre de la salle de bain avait pu être un dialogue entre sa mère et ce « quelqu’un d’autre »…Terrorisée, elle comprit qu’il venait la traquer. Elle repoussa brutalement cette femme qui lui semblait hideuse et se rua sur la porte de la salle de bain afin de s’y enfermer.
La porte résistait, elle céda finalement, mais n’en finissait pas de s’ouvrir. Elle s’engouffra dans la petite pièce le cœur battant si fort qu’elle avait envie de vomir. Elle tira la porte en faisant jouer la clé dans la serrure. De son côté, l’homme en noir tirait vers lui de toutes ses forces : la clé dans la serrure s’affola, elle grinça.
Rachel était maintenant en sécurité. Elle se sentait pourtant affreusement inquiète. Affolée par la poignée de la porte qui s’agitait brutalement en tout sens, elle chercha cependant une issue pour s’enfuir tandis que son bourreau s’acharnait sur la porte. Elle ouvrit doucement la fenêtre et sauta au dehors. Elle se mit à courir, courir au loin, vers le Nord. Les voisins assemblés l’encourageaient en criant. Elle se sentit poussée par un énorme besoin de liberté. Elle enjamba le portillon au bout du jardin et se retrouva en pleine nature.
Dans ce champ qu’elle connaissait depuis toujours, elle découvrit avec stupeur une grosse maison de maître fermée par une lourde porte de chêne foncé. Elle courut au plus vite vers cette porte et son lourd claquoir de fer piqué. Elle avait l’impression de ne pas avancer. Pourtant elle courait de toutes ses forces. Enfin elle parvint à son but et secoua le heurtoir. A toutes les fenêtres illuminées, des gens, du plus loin qu’ils l’aient vue, lui criaient des choses aimables et encourageantes. Ils l’attiraient et l’invitaient à les rejoindre. Rassurée, sûre d’y trouver la grande paix et la joie, elle se réfugia précipitamment à l’intérieur. Tout était ici merveilleux, constellé de pierreries. Elle verrouilla la porte. Enfin, ici, on ne viendrait plus la traquer. Plus personne ne pourrait l’atteindre.
De l’autre côté, l’homme en noir, furieux de son impuissance, tomba sur les genoux et se réduisit en poussière. Marion Lubreac
ARABESQUE
Ce n’était pas par peur que Lison LAFERTE avait remis à SAM les clés de son château. Elle manquait plutôt de confiance en elle et le soir, lorsqu’elle se trouvait seule, l’inquiétude l’assaillait.
La présence de SAM la rassurait. Il venait n’importe quand pour meubler ses moments de solitude. Bientôt, elle le savait, il ne partirait plus.
SAM était un nabot aux cheveux noirs et drus. Il était le fils de la vieille cuisinière, morte l’an dernier d’une fluxion de poitrine. Il était peut-être ignare, mais il était présent. Avec lui le château semblait moins grand, on s’y sentait moins étranger, moins perdu face à soi-même.
Un soir, pour la distraire, SAM se mit à danser. Il se maquilla l’œil, se masqua et enfin commença à tourner à la lumière du feu qui crépitait dans l’âtre. Lison battait des mains à la folle idée de son compagnon.
Tout à coup par la cheminée surgit un corbeau noir qui se planta au beau milieu de la table, après avoir un moment tournoyé dans les airs au dessus de leurs deux têtes effarées. Le corbeau les considérait d’un œil mauvais. Il était énorme, et ni Lison ni SAM n’osaient le chasser de là. L’un après l’autre, le corbeau les fixait. Dans un long croassement, il s’envola et disparut.
Ils restèrent un moment face à face, interdits, ne sachant plus que dire. Puis ils se séparèrent, l’âme triste.
Chaque soir désormais le corbeau les visite. Lison et SAM s’abîment dans la nostalgie et le chagrin. Imperceptiblement, ils s’éloignent l’un de l’autre. Comment finiront-ils ? Quelle sera leur vie ? La solitude s’incruste et dévore les murs lézardés. Le château se dégrade. Il est laissé à l’abandon. Les herbes folles l’envahissent. Les liserons sauvages l’étouffent. Etranglée de lierre, la demeure et ses habitants ne respirent plus qu’à peine. Ecarté du village, soumise à l’abandon, la maison douloureuse se laisse ronger par la lèpre insidieuse.
Marion Lubreac
« ANGOSCIA »
L’homme à la botte de poireaux marche plus vite, encore plus vite : il se retourne encore une fois très vite, pour que ça passe inaperçu.
Mais non. Le nabot dans sa chaise à roulettes le poursuit toujours et fait tourner très fort et très vite les grandes roues de sa chaise d’infirme. Et même…Oui ! Il gagne du terrain ! Il lui sourit avec un petit air très méchant, comme l’araignée du bois cornu qui fait un dernier clin d’œil à la mouche.
De toute façon, dit l’homme en se laissant tomber sur un bloc de bitume, je ne vais tout de même pas me laisser impressionner par un type aussi petit et aussi mal foutu !
Le nabot avec un grand rire, se met à faire tourner ses grandes roues encore plus vite, renverse la tête, ouvre de gros yeux, et écrase l’homme à la botte de poireaux.
AIGREUR
La désagréable atmosphère qui régnait partout dans la maison commençait à l’impatienter.
Depuis qu’il vivait là, à cent mètres des marais aux eaux stagnantes, il n’avait jamais remarqué cela. En fait, ça venait juste de surgir, .C’était une horrible odeur âpre, lourde et sucrée, qui s’imposait et vous enveloppait solidement. Cette ambiance malsaine ne pouvait durer davantage et c’est à bout de nerf que PLEEN se décida à partir de chez lui. Partir sans vrai but, le principal étant de fuir cette pestilence. Partir à la recherche d’autre chose, chassé par une volonté sourde. PLEEN prépara ses bagages, rangea un peu la pièce qui était en désordre puis ferma la porte à clé. Une fois dans la rue, il respira profondément. Le ciel était bas et gris. Au loin on entendait un vague bruit de pneus crissants et de klaxons qui venait de la ville. PLEEN se baissa, ramassa ses valises et se mit en route pour la gare. En chemin, il fut frappé par la couleur du ridicule chapeau que portait une femme. Très absorbé par la couleur du chapeau, il ne pensa plus à rien d’autre. Il ne sentit même pas la lassitude du chemin à parcourir. Il arriva assez rapidement à la gare, sans même s’en rendre compte. Il s’approcha du guichet froid et se prépara à demander un billet de seconde classe pour BONN.
C’est alors qu’il fut sidéré par quelque chose d’insolite. Tout d’abord, il pensa qu’il était victime d’un malaise qui lui troublait la vue, ou que son imagination lui jouait un mauvais tour. Et puis, il fallut bien se rendre à l’évidence : l’employé derrière le guichet n’avait pas de visage. A vrai dire, il avait bien des traits, mais si superflus qu’il était inutile de le faire remarquer. PLEEN, gêné, s’éloigna du guichet sans rien demander et décida de faire le voyage à pied ou bien encore d’attendre un peu sur un banc, histoire de voir si on n’allait pas venir relever l’employé. Séduit par cette dernière idée, il se laissa tomber sur un siège le plus à l’écart possible et attendit. Là, il pouvait presque tout observer sans que personne ne puisse l’apercevoir.
Il était là depuis une heure à peine quand trois hommes en chapeaux s’approchèrent et l’encadrèrent. Sournoisement réduit au silence, il se laissa emmener, assommer, et jeter au canal. Là, il resta un moment dans la boue et les ronces, au fond de l’eau sale. Il se demandait, découragé, si la vie valait la peine d’être vécue ou s’il était préférable de rester là encore un peu. Puis son corps décidant, il remonta à la surface, résolument écoeuré du monde. Il ne se demanda même pas un seul instant pourquoi les trois hommes avaient agi ainsi.
De toute façon, on avait toujours quelque chose de malsain à se reprocher, il le savait parfaitement bien. Que faire maintenant ? Retourner à la maison et retrouver l’odeur fétide ou bien continuer le voyage ? Pour une fois, il ne s’assit pas pour prendre sa décision. Il n’avait guère le choix. Il devait forcément continuer. Il ramassa ses bagages et continua sa route.
A ce moment même, une voiture opaline arriva sur lui à pleine vitesse et l’écrasa.
PLEEN le malchanceux avait pour une fois terminé quelque chose d’ébauché.
Marion Lubreac
ABSOLUTION
Il agrafa autour de sa taille une ceinture de bave et de bile, bomba le torse et enfin prêt, il se mit en route. Les nuages s’étaient levés et les pointes rocheuses et aigues des montagnes se dessinaient nettement dans le ciel gris pâle. Le vent soufflait encore par instant, et une petite pluie fine se mit à tomber. Fénia Fébor, de retour au vallon, pressa le pas.
Il y avait trente jours et trente nuits qu’il marchait ainsi, essayant de retrouver d’après de vieux souvenirs la route que Fléchereau lui avait indiquée.Fléchereau semblait un être vil et sournois. Ne l’aurait-il pas trompé ? Fénia Fébor marcha plus vite. Il se trouvait dans un endroit d’herbe rase, presque cuite par places.
Il se mit à faire très chaud, et comme il passait près d’un arbre au lourd feuillage, il s’arrêta pour se reposer. Assis à l’ombre il pensa à Fléchereau, le coupable. Comment avait-il pu se laisser prendre ? …En vérité, il n’était pas dupe. Il savait que Fléchereau était en ce moment caché, espionnant ses moindres gestes. Fénia chercha par déduction en quel endroit ce fat de Fléchereau pouvait être caché. Brusquement, il se jeta par terre et Fléchereau, surpris, tomba de ses épaules où il s’était agrippé. Fébor lui posa le pied droit sur la poitrine et l’ayant de ce fait immobilisé, il lui jeta un lourd regard de reproche et d’amour et s’écria :
« Traître, félon, comédien ! Tu croyais me tromper, misérable lâche ! Tu vas maintenant voir comment je punis les larves de ton espèce ! »
Sortant de sa poche un lourd poignard effilé, il se le plongea six fois dans le creux de l’estomac, en soutenant de son regard fort l’attention de Fléchereau qui ne pouvait bouger. Dans un long râle absurde, Fébor s’écroula dans son sang. Fléchereau, au désespoir, sauta sur ses pieds et tira de toutes ses forces sur le poignard planté profondément. Mais il ne put l’ôter.
Dans un haussement d’épaules, furieux de son erreur et de sa petitesse, il s’éloigna vers l’Est :
« Noble cœur, je ne t’ai pas compris »
Je me condamne moi-même à errer comme lui, jusqu’à trouver ma voie. Je me sacrifie et je me fais récipient de son âme.
Fléchereau mêla son sang à la terre noire du val, six heures après son crime, à la pleine clarté de la lune de juin.
Marion Lubreac
A L EST
Après avoir marché longtemps sur les pierres de la grande route de l’est, Feuillard s’assit soudain sur une branche d’osier qui gisait là et se mit à réfléchir.
Voyons : à l’est. On lui avait dit qu’il trouverait la voie des quatre saisons, et qu’une fois son choix fait à l’embranchement, il n’y aurait plus de problème. Et cependant il y avait…Une éternité qu’il avait dépassé l’embranchement.
Après avoir longtemps erré, il s’était engagé sur la grande route de l’est, s’attendant à chaque nouveau pas à trouver la voie.
Mais le soleil se couchait maintenant. Feuillard se remit sur pieds, soupira, se baissa un peu pour ramasser sa flûte qu’il avait assise entre deux pierres bien polies, rondes, douces comme vde la soie, puis courageusement reprit sa route.
A la vérité, on ne peut pas vraiment dire que ce soit par courage. Mais plutôt par peur de l’imprévu, la peur de retomber dans sa torpeur et le doute initial l’obligeait malgré lui à avancer. Il avait presque cinquante ans maintenant, et il était temps de trouver la voie des quatre saisons. Car il se sentait coupable de n’avoir encore rien fait de positif jusqu’alors.
Cinquante ans. Rien que du négatif et de l’inutile. Il avait bien remarqué que ses relations se moquaient un peu de lui et riaient sous cape. Eux semblaient avoir toujours su, ils étaient confiants et sûrs d’eux-mêmes.
La route était longée d’arbres maigres sans feuilles, noirs à l’air calciné, mais qui à la réflexion avaient toujours été ainsi. Il faisait presque nuit, et Feuillard devait faire très attention en marchant car il ne voyait pas où il mettait les pieds. C’était presque à tâtons qu’il avançait, devinant plus que ne voyant avec clarté. Mais malgré tout ce noir, il ne lui venait pas à l’idée de s’arrêter. Et d’ailleurs, il ne fallait surtout pas qu’il se repose, car qui savait maintenant où il se trouvait et qui au lever du soleil il aller rencontrer ? Il s’en remit à la providence et se dit qu’après tout ce devait être ainsi qu’il trouverait sa voie.
Tout- à-coup, il éprouva une sensation étrange .Un fourmillement glacé l’envahit et une terreur profonde le figea.
Au lieu de progresser normalement, Feuillard avança de côté en glissant sur ses pieds lentement, en serrant très fort les paupières, les bras écartés devant lui. Il essaya de contourner ainsi l’invisible obstacle, ou tout au moins de faire disparaître de son corps le ressenti désagréable qui l’avait envahi.
C’est de cette façon que son bras droit rencontra une résistance : Feuillard ouvrit les yeux et chercha à voir. Une planche épaisse de bois clair pendait dans l’obscurité. Comme un chemin. Il vit une passerelle qui l’y conduisait.
Tout cela l’irrita fortement et au lieu de poursuivre son chemin il se détourna et se mit à creuser près des pierres contre lesquelles ses pieds venaient de buter. C’est là qu’il se rendit compte qu’il était revenu sur ses pas. Il creusa sans relâche en s’aidant de sa flûte et de ses ongles. Quand il jugea que le trou était assez profond pour le contenir, il se déshabilla et s’engloutit dans ce refuge, en masquant l’entrée avec son manteau.
Recroquevillé dans son abri, Feuillard se prit à penser. Il ne se sentait plus coupable maintenant. Il pensa qu’il avait trouvé ce qui lui convenait le mieux. Il se blottit au fond du globe de terre et leva les yeux. Avait-il réellement trouvé ? Le doute le reprit. Non. Non il ne pouvait se contenter de cela.
Furieux et agacé, Feuillard se mit debout, remit ses vêtements encore un peu plus sale et reprit la grande route de l’est, sans reboucher le trou.
Mais tout en avançant, l’esprit de Feuillard riait ironiquement de cette impulsivité, ce manque de tempérance dont il venait de faire preuve, mené par ses instincts.
Il savait parfaitement que dans quelques temps, il abandonnerait sa résolution, creuserait pour recommencer inlassablement son travail.
Marion Lubreac
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